Repenser la démocratie pour éviter les crises en Afrique ( 2nde partie)

Dans la première partie de sa contribution, Hamidou Bah,  juriste chargé des marchés publics, consultant en géopolitique et sur des questions internationales  a expliqué les causes des fréquentes crises politiques en Afrique et qui entravent le processus de démocratisation sur le continent. Il nous propose dans cette dernière partie, des pistes de réflexions pour adapter la démocratie aux réalités africaines. 

 

L’Afrique a enregistré des avancées notables et des échecs qui s’inscrivent dans le cours normal du processus de démocratisation qui est plus ou moins long selon les spécificités des pays. Avec ses multiples accords, traités internationaux, continentaux et régionaux, l’Afrique a déjà un cadre assez séduisant et propice à l’émergence de véritables démocraties. Le remède existe déjà et il est connu de tous : il émanera de la volonté des autorités politiques africaines de traduire dans les faits ces différents textes; nous en citerons quelques-uns en guise d’exemple.

B QUELQUES RÉFLEXIONS POUR ADAPTER LA DÉMOCRATIE DANS LE CONTEXTE AFRICAIN

La Charte africaine de la démocratie et des élections, adoptée le 30 janvier 2007 à Addis-Abeba (Éthiopie), constitue la manifestation de la volonté des États africains d’ériger la démocratie en modèle de développement en s’engageant dans la promotion de la démocratie, du principe de l’État de droit et des droits de l’homme. Le Protocole de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance (protocole additionnel aux protocoles sur la prévention des conflits armés) en son article 2 section 2 relative aux élections (chapitre 1) interdit la modification des constitutions six mois avant les élections. La Déclaration de Bamako du 3 novembre 2000, adoptée après le Sympo­sium international sur le bilan des pratiques de la démocratie, des droits et libertés dans l’espace francophone, a recensé les acquis, les insuffisances et échecs de la démocratie pour enfin proposer des solutions à l’ensemble des pays africains. Cet arsenal de textes traduit qu’un effort substantiel est fourni, en tout cas dans un cadre assez théorique, pour trouver un bon moule à la taille des aspirations pressantes et manifestées des peuples africains qui ont soif de démocratie. Les manifestations plus ou moins violentes des Tunisiens, Égyptiens et Libyens ont contribué à mettre la question de la démocratie à l’ordre du jour dans les pays d’Afrique noire en passant par la Chine et les grandes monarchies arabes.

Nombreux sont ceux qui, parmi les spécialistes en droit constitutionnel, les journalistes, les politologues à émettre des idées pour trouver des solutions afin que la démocratie soit vraiment instaurée dans la cité sans crise ni violence pendant et en dehors des périodes électorales. Au nombre des solutions proposées, on peut notamment citer la mise en place des régimes parlementaires sur le modèle de certains pays occidentaux, la mise en place du bipartisme, le fédéralisme particulier, le respect des droits de l’homme et l’égalité citoyenne, la promotion de la société civile, une liberté de la presse non entravée, plus de décentralisation…

  • Les régimes parlementaires

Un régime parlementaire est un régime politique fondé sur une séparation souple des pouvoirs, contrairement au régime présidentiel où la séparation est stricte. Dans le régime parlementaire, le Gouvernement qui incarne le pouvoir exécutif, peut être renversé par le Parlement devant lequel il est politiquement responsable. Les membres du Gouvernement ne sont pas élus, mais sont issus de la majorité parlementaire à laquelle ils doivent leur pouvoir.

Le pouvoir de renversement peut être réciproque lorsque l’exécutif (le chef de l’Etat) dispose de la faculté de révoquer le Parlement (pouvoir de dissolution), ce qui incite les deux pouvoirs à collaborer. Si le Gouvernement n’est responsable que devant le Parlement alors le régime parlementaire est qualifié de « moniste ». Exemples : Angleterre, Japon, Inde, Canada…Dans le cas africain, il serait judicieux de supprimer le poste de président et laisser celui du premier ministre qui, à son tour est élu sur proposition du président qui garde néanmoins une fonction honorifique. Cette solution a le bénéfice de ne pas organiser des élections présidentielles avec son cortège de violence. Le tout se joue au niveau du parlement.

  • L’accentuation de la décentralisation

La décentralisation peut être un facteur de consolidation de la démocratie. Dans le cas des pays régionaux, provinciaux ou dans les Etats fédéraux, cette perspective peut contribuer à mettre en place un système basé sur la démocratie locale. Il s’agit de faire les élections au niveau des Etats fédérés et ces élus à leur tour élisent le président dans un scrutin secret à un seul tour.

Pour ce qui est des Etats régionaux, cela se traduira notamment par des élus régionaux avec une forte compétence et qui sont d’une manière ou d’une autre proches du peuple. Le problème avec les provinces est que leur autonomie est bafouée par le pouvoir central si on prend le cas de la RDC. Ce système a ses avantages et ses inconvénients.

Pour ce qui est du cas spécifique de la Guinée, on se rend compte que la régionalisation n’est pas un problème en soi mais les représentants de ces régions « naturelles » qui comme je l’ai dit en haut n’ont pas une assise constitutionnelle, en outre ils jouent mal leur rôle de guide moral car au lieu de prêcher l’unité nationale, ils optent plutôt pour le repli sur soi, la division et la régionalisation au sens négatif du terme. La solution serait de les supprimer comme ça a été le cas pour les chefferies traditionnelles au temps du premier régime.

  • Le bipartisme

Dans des pays où l’ethnocentrisme, le tribalisme et les divisions sont légion, il est préférable au niveau des partis politiques d’organiser des élections primaires pour élire les représentants de chaque parti, de prévoir un statut de l’opposition et d’oser aller vers une bipolarisation de la vie politique qui aura pour avantage d’éliminer les nombreux partis politiques à caractère tribaliste, sans assise nationale, voire sans idéologie politique claire et dirigés par des individus guidés par des intérêts inavoués. Il y a lieu de travailler à l’instauration d’une culture de l’alternance, un principe sacro-saint de la démocratie. C’est le cas du Nigéria par exemple où il existe que deux tendances politiques qui prennent en compte l’équilibre fédéral et confessionnel du pays.

Cette solution doit être, pour qu’elle fonctionne, constitutionnalisée et verrouillée de toute tentative de révision. Elle doit en outre comporter des clauses qui intègrent les équilibres ethniques et régionales pour que chacun y trouve son compte.

En somme, on peut dire que sur un horizon historique court, un grand nombre de pays africains se sont engagés dans au moins deux des trois processus de construction d’État souverain, d’État nation et de démocratisation. Cette dernière est rampante. La question n’apparaît pas de savoir si elle peut être importée, mais plutôt de savoir comment elle peut être mise en place en accord avec les réalités de chaque pays, au travers d’institutions locales, et par ses futurs bénéficiaires. Personne ne peut prétendre savoir ce que sera le produit fini, mais les nations africaines du XXI siècle sont définitivement en train de trouver un nouveau souffle.

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