À l’instar de plusieurs pays d’Afrique, la Guinée est caractérisée par un potentiel agricole gigantesque, qui peut constituer pour elle non seulement un instrument pour améliorer le bien-être de ses citoyens et créer l’équilibre social, mais aussi un facteur de croissance économique. Mais très malheureusement, les politiques de développement du pays semblent tournées en grande partie vers l’exploitation des mines, qui sont souvent sans intérêt conséquent à cause des inégalités dans les échanges commerciaux. En plus, ces exploitations sont souvent sources de dégradation de l’écosystème. Alors pour passer de l’économie minière au développement agricole, le spécialiste des Finances publiques, Dr Alhassane Makanéra Kaké, propose un plan dans lequel il regrette d’abord le changement « brusque » survenu après le premier régime. Il parle ensuite de l’importance de développer l’agriculture et enfin du comment passer à l’économie verte.
« Le choix du développement a été imposé à l’Afrique par l’Occident. Et l’origine est lointaine parce qu’elle date de la colonisation. Pour tourner l’industrie occidentale, il fallait spécialiser l’Afrique dans la production des matières premières, pour que ce qui est en Afrique serve à financer les industries européennes, qui ont une forte valeur ajoutée contrairement aux produits de base. Maintenant à l’indépendance, on a continué à maintenir le même rapport économique avec l’Occident. Ainsi l’économie africaine a été ouverte à l’extérieur. Si vous prenez par exemple les États-Unis , c’est le plus grand pays, mais sa grandeur s’explique par le fait que ce pays consomme 90% de sa production interne et 10% de l’extérieur. D’où sa faible dépendance de l’économie mondiale. Mais si vous regardez chez nous, 80% de nos exportations, c’est de l’autre côté. On produit pour les autres. Malheureusement, la conception de l’ancien Président Sékou Touré des mines n’a pas été comprise par ceux qui sont venus après. Au départ, Sékou Touré a trouvé le problème et tenté de le résoudre. Comment financer le développement ? Il soutenait que le développement de la Guinée passe forcément par l’agriculture à cause de ces milliers d’hectares de terrains cultivables. Cela signifie que la Guinée peut nourrir sans problème l’Afrique occidentale et même avoir un excédent. Mais la question, la population ne finance pas la production des cultures vivrières , elle finance juste le développement de la culture de rente d’exploitation. Alors comment financer la culture vivrière ? Sékou Touré s’est dit clairement : exploitons les mines, la rente que nous allons dégager des mines, nous allons financer le développement de l’agriculture avec. Donc les mines étaient une solution provisoire pour poser le soubassement du développement. Mais malheureusement, après le Président Sékou Touré, on a continué le même système, on en a même fait notre politique pour sortir du sous-développement. Alors que les mines ne sont pas faites pour sortir un pays de la pauvreté. Les mines sont plutôt faites pour enrichir un petit groupe et permettre à l’État de dégager un peu d’argent. Et ce peu d’argent devrait être mieux géré pour permettre de financer les priorités. Il devrait être orienté vers le développement local et répondre aux besoins locaux des populations. C’est ce qui n’a pas été fait. »
Maintenant qu’est-ce qu’il faut faire pour inverser la tendance ?
« Il faut revoir la politique d’exploitation minière. Qu’on quitte de ce qu’on appelle aujourd’hui la concession où la Guinée tourne autour de 15% pour aller vers une concession de Sékou Touré qui nous donnait 49% . L’avantage c’est que la Guinée aura la possibilité de contrôler la production des entreprises dans lesquelles elle est membre. Parce que le directeur général doit être de ceux qui sont majoritaires 51% et la Guinée aura un DGA ou PDGA, qui est là et qui est l’œil de l’Etat dans la transparence de la gestion des entreprises minières. Si on fait cela, on va éviter le système où c’est les entreprises minières qui nous disent : voici que j’ai exploité, j’ai vendu et les recettes que j’ai gagnées en termes d’importation. Voici votre part. C’est malheureusement comme ça que ça fonctionne aujourd’hui. Aucun cadre guinéen ne peut dire qu’il connaît exactement ce que chaque société minière produit par jour, par mois et par an. Ça c’est le premier élément. Deuxième élément, il faut que le parlement adopte une loi qui va orienter le produit des mines vers le développement agricole. C’est-à-dire clairement, on ne rembourse pas la dette avec le produit minier ni ne paie les salaires avec les revenus miniers, mais plutôt c’est pour développer le secteur agricole pendant une certaine période. »
Propos recueillis par Gassime Fofana