Problématique du développement de la Guinée : autopsie et propositions de Docteur Dansa Kourouma

Ressources minières, énergétiques ou agricoles. La Guinée ne manque de presque rien en termes de richesses naturelles. Mais le pays est toujours classé parmi les moins avancés en raison de l’extrême pauvreté dans laquelle baigne une bonne partie de la population et de nombreux problèmes d’ordres sanitaire, alimentaire, socioculturel ou économique. Dans l’analyse de la situation, le président du conseil national des organisations de la société civile guinéenne, Dr Dansa Kourouma, décrit en plusieurs points, les facteurs qui entravent le développement sociopolitique et économique de la Guinée.

« La Guinée souffre de son histoire »

« Le premier point, commence Dr Dansa Kourouma, la Guinée souffre de son histoire, c’est-à-dire de la mauvaise lecture, de la mauvaise interprétation et de la mauvaise connaissance de l’histoire du pays par l’élite actuelle et surtout par la jeunesse. J’ai l’impression que notre histoire a été falsifiée, tronquée et que la nouvelle génération ne sait pas ce qu’il s’est réellement passé. Et dans cette situation, il y a la colonisation, qui nous a coûté cher en annihilant les efforts de promotion des valeurs qui sont les nôtres. Il est donc très difficile de réaliser le développement si on ne connaît pas exactement l’histoire qui sous-tend l’évolution du pays surtout par sa jeunesse. »

Une évolution politique incongrue  

« Le deuxième point, c’est un problème politique, qui est une déclinaison de la falsification de l’histoire. Les partis sont nés en Guinée sur une base purement identitaire parce qu’en réalité, les colons ont dit aux Guinéens que les Peuls, les Malinkés, les Sousous ou les Forestiers ne s’aiment pas. Et ils ont agi sur cette fibre pour instiller dans notre ADN, la division mais surtout la non acceptation de la diversité ethnique. C’est ça la réalité. Donc nous avons une vie politique qui est biaisée, caractérisée par le virus de l’ethnocentrisme, du régionalisme, donc le repli identitaire. Ce qui fait que les Guinéens ont du mal à s’accorder sur une ligne de conduite commune pour le moment. Alors si l’histoire est mal partagée et ceux qui sont censés apporter solutions aux problèmes de la Guinée ne s’acceptent pas, ils ont des considérations tronquées et erronées de l’histoire, la construction du consensus national devient impossible, et quand il y a pas de consensus national, on ne peut pas cultiver le patriotisme. Les gens, au lieu d’aimer la nation, vont préférer s’aimer, aimer leur communauté. »

Problème de ressources humaines

Comme on le dit souvent, l’Homme est l’essence même du développement, mais à condition qu’il soit qualifié. Dans son intervention, Dr Kourouma met l’accent sur la faible qualité des ressources humaines nationales mais aussi sur le faible engagement patriotique envers la nation. « Qu’on ait tout comme ressources humaines, si on n’a pas de cadres qualifiés, qui puisent leur innovation dans une histoire riche, qui leur permet d’avoir un esprit patriotique, de voir la Guinée avec affection, amour, honneur et dignité, aucun projet de développement ne profitera aux Guinéens. Pour la simple raison que nous n’avons pas de compétence nationale digne de cette appellation. Même si nous avons de hauts cadres qui ont étudié dans les grandes universités, ils manquent de patriotisme. Cela fait que les intérêts personnels prennent le dessus sur les intérêts de la nation. Parce que, nous n’aimons pas la nation. Aussi, la jeunesse, qui doit être à l’avant-garde de la recherche de l’innovation, baigne dans ce contexte qui fait qu’elle ne s’aime pas. Ce contexte fait qu’elle perd de jour en jour les valeurs patriotiques qui sont inculquées en elle. Ainsi tous ceux qui sortent de l’école guinéenne ont le complexe de servir la nation. On apprend juste à chercher les notes à l’école, les parents s’invitent dans le système éducatif, les apprenants ne font plus du sérieux. L’école perd de la valeur. Par conséquent ceux qui y sortent n’ont pas permis  sérieusement  appris. Cela fait que nos contrats miniers sont mal ficelés par des Guinéens sur l’avenir. »

La mauvaise gouvernance et ses corollaires

« La mauvaise gouvernance en Guinée trouve son origine dans l’irresponsabilité de l’élite politique. Ceux qui veulent le pouvoir aujourd’hui, sont ceux qui ont planté le pays hier. Et ceux qui étaient pour le pays hier, ce sont eux qui servent le pays aujourd’hui et ils sont aussi plantés. Il n’y a plus de référence dans la gouvernance. On a besoin d’un homme providentiel qui sortira de nulle part pour mettre la Guinée sur les rails de la bonne gouvernance. Ce qui passe avant tout par le respect des lois. Mais chez nous, la Constitution est discutée, la loi est discutée, l’assemblée nationale qui vote les lois est contestée. Cela veut dire tout simplement que personne ne croit et ne respecte la loi. Alors que la bonne gouvernance est basée avant tout sur le respect des principes de l’Etat de droit. Le problème de la gouvernance se résume par le clientélisme dans le choix politique. Les Guinéens ont peur du lendemain, c’est-à-dire notre pays est si desorganisé que quand vous êtes à un poste, vous craignez quand on va vous démettre et vous tombez dans la pauvreté. C’est un pays où l’argent qu’on reçoit pendant la retraite ne nous permet pas de payer son loyer. Donc quand vous êtes à un poste vous avez peur de tomber dans la pauvreté. Par conséquent vous volez parce qu’il n’y a pas de sécurité sociale, pas d’assurance pour l’avenir. »

Indiscipline et incivisme comme facteurs de blocage du développement de la Guinée

« Aujourd’hui, il y a un problème d’organisation globale du pays et le manque de discipline de l’élite et de toute la population. L’indiscipline caractérisée qui trouve son origine dans l’incivisme. Pourquoi l’incivisme ? Parce qu’on ne respecte pas la loi, on ne se respecte pas, on ne fait pas confiance à l’Etat. L’Etat ne respecte pas les citoyens, personne ne respecte l’autre. Ce sont les menaces, les grossièretés. Donc les valeurs morales sont renversées dans notre pays. »

Incertitude dans l’accession au pouvoir

Pour le Président  du conseil national des organisations de la société civile guinéenne, la forme d’organisation et d’accession au pouvoir politique ne peut pas permettre aujourd’hui d’avoir une visibilité sur le caractère nominatif des élus. « L’autre point qui me semble être le plus important, c’est la présence de l’incertitude sur les conditions de l’accession de l’élite au pouvoir. En Guinée, on ne sait pas si c’est le plus populaire qui peut gagner les élections ou bien le plus riche ou celui qui appartient à l’ethnie majoritaire. Donc les règles d’accession au pouvoir sont biaisées. Ça fait que les conditions d’alternance, les bases de la démocratie sont tronquées. Et si les bases de la démocratie sont ainsi, comment le pays peut construire des institutions démocratiques solides ? L’absence d’institutions solides rend impossibles et incongrues les règles d’alternance au pouvoir. Cette incertitude fait que le pays ne peut pas bouger. On n’est dans une crise sociale, politique ou économique qui ne dit pas son nom. »

L’absence d’un plan national de développement

« Et le dernier point à mon avis c’est le manque de repère pour le développement du pays. La Guinée a besoin d’un plan Marshall. Le PNDES est un outil qui nous a été imposé en lieu et place du plan d’ajustement structurel. Donc nous ne le maîtrisons pas. Je pense par exemple à la loi cadre que Sékou Touré avait mis en place. Il faut des réformes, des révolutions en matière de planification pour que des vrais patriotes s’asseyent et tracent un plan de développement du pays. Et ce plan de développement doit prendre en compte la question des ressources minières. On est tellement riches que la bauxite qu’on a, on peut l’exploiter pendant deux siècles. Mais la ressource est vendue au rabais, les contrats sont mal négociés et mal ficelés par une certaine élite qui n’a de soucis que se renflouer les poches. Ça fait que nous sommes entrain de transporter la terre, au lieu d’avoir les vrais projets de développement économique pour transformer la bauxite sur place. On n’en a pas parce qu’en réalité on n’a pas une vraie stratégie propre à nous pour notre développement, qui tire son origine de nos vraies actions. On est téléguidé par la Banque mondiale, le Fonds monétaire international ou par d’autres institutions internationales. Donc le manque d’une stratégie nationale de développement, scruté par les vrais patriotes fait aujourd’hui qu’on a pas de visibilité sur ce que la Guinée sera dans 5, 10 ou 20 ans. »

Alors que faire pour sortir de l’impasse et accéder au développement durable ?

Pour Dr Dansa Kourouma, il faut aujourd’hui un plan Marshall pour le développement de la Guinée. Et cela ne peut pas se faire dans l’instabilité. Il faut un gouvernement crédible, auquel les Guinéens font confiance. Il faut des intellectuels mus par le patriotisme pour élaborer ce plan qui contraint tous les Guinéens et qui fait de sorte que quel que soit celui qui vient au pouvoir puisse le respecter. Pour y arriver, il faut des piliers comme la question des ressources minières en termes de négociations, la disponibilité d’un laboratoire de contrôle des produits pour qu’on sache la teneur de la bauxite qui sort ainsi que les autres substances non bauxitiques pour que cela puisse être rentable pour notre économie. Donc il faut une expertise nationale indépendante sur les questions minières en sachant ce qui sort, ce qu’on vend ou ce qu’on transforme sur place et trouver les moyens pour transformer sur place. Il faut ensuite injecter cette économie dans le développement des secteurs comme l’agriculture. Le deuxième pilier de ce plan ce sont ainsi les activités du secteur primaire à travers un vrai développement du monde rural. Mais le vrai pilier de toute cette stratégie, c’est la lutte contre la corruption. Un plan de développement qui ne sort pas une stratégie de lutte contre la corruption, est voué à l’échec . La Guinée a besoin aujourd’hui d’institutions indépendantes et développer le système éducatif pour que les jeunes guinéens qui sortent des universités aient une formation scientifique, technique et morale qui leur permette de rehausser la demande politique et amener les hommes politiques à se conformer à ce que la population demande. »

Entretien réalisé par Gassime Fofana

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