En dehors de l’Afrique du Sud qui fait partie des pays émergents regroupés au sein du bloc BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), les autres pays africains peinent toujours à intégrer le groupe des nouveaux pays industrialisés ou développés. Dans son analyse, le spécialiste en Finances publiques, Dr Alhassane Makanera Kaké, pointe du doigt des facteurs exogènes et endogènes qui entravent encore l’émergence économique, industrielle ou financière de l’Afrique.
« La question de développement de l’Afrique s’est posée depuis l’indépendance. Lorsque les pays africains ont intégré le système économique international, après la colonisation, le continent s’en sortait plutôt bien notamment entre les années 60 et 80. Mais à partir des années 80, l’Afrique a commencé à connaître des difficultés économiques et financières. Les pays occidentaux ont mis à la disposition de ses pays des emprunts à moins deux pour cent du taux réel pour pousser les Etats à prendre massivement de la dette avec un dollar faible… On nous dit, vos économies sont malades, il faut qu’on vous trouve des remèdes. C’est ce qu’on appelle politique d’ajustement structurel. En Guinée, par exemple, on a abandonné l’économie socialiste en 1984 par le discours programme de Lansana conté. Notre pays entre alors dans l’économie libérale, conditionnée par la mise en place des politiques d’ajustement structurel. Pour lui, les conséquences de cette mutation brusque sont énormes. 50 % de l’effectif de la fonction publique sont mis dehors. Sur les 132 pays soumis aux politiques d’ajustement structurel, seule la Guinée a pris des mesures draconiennes. On était avec plus de 365 entreprises publiques. Bien que déficitaires en bonne partie, 30% des recettes publiques étaient imputables aux entreprises publiques. Ça c’est réel. Mais ces entreprises ont été privatisées dans l’opacité totale. D’autres, comme Sanoyah, ont été liquidées à des francs symboliques… Bref, les mesures d’ajustement structurel qu’on a connues, ne visent pas à assurer le développement du pays», explique-t-il avant de renchérir : « quand on prend la politique d’ajustement structurel, nos partenaires n’ont jamais voulu qu’on développe la culture vivrière. Il finance les cultures d’exportation et de rente. On préfère que nous importions. Dans ce cas, l’Etat va subventionner les agriculteurs des pays asiatiques et certains pays de l’Europe. Par ailleurs, la Guinée disposait d’environ 7 millions d’hectares dans les années 85. Mais on ne mettait en valeur qu’un million d’hectares, et les 6 autres millions restaient vides. Et lorsque vous regardez en Guinée, à la même période, 48% ou presque 50 % des importations étaient consacrés à l’alimentation. Et quand un pays importe 50% de sa consommation, ce pays ne s’en sortira jamais.»
Quels rôles pour les institutions de Breton Woods ?
Pour impulser leur développement économique, plusieurs pays africains ont recours aux services des institutions internationales de financement dont la Banque mondiale et le Fonds monétaire international. A ce niveau de coopération également, Dr Kaké relève plusieurs manquements ou mauvaises interprétations. « Quand vous regardez bien, le FMI fait de la discipline monétaire. C’est seulement dans les années 87, que le FMI a changé l’article 7 de son statut pour s’orienter vers des questions de développement. Mais en réalité, quand vous lisez les rapports de ces institutions, il est clairement dit, à partir des années 90, que le pays qui n’ont pas été soumis aux mesures d’ajustement structurel s’en sortent mieux que les pays qui y ont été soumis. Ensuite, les mesures qui sont mises en place n’ont pas pour vocation d’assurer le développement, mais c’est pour permettre aux pays de rembourser la dette extérieure essentiellement publique… Ainsi, en 1999, on s’est rendu compte que le taux de pauvreté est très élevé et inquiétant. On a alors élaboré un document de stratégie de réduction de la pauvreté, le numéro 1. Il a été appliqué. À la fin de la période d’évaluation, nous avons enregistré 50% de pauvres alors qu’on était à 45 % avant le début de son application. Donc une augmentation de pauvres de 10 points. Depuis lors, nous n’avons pas voulu mettre en place une politique économique propre et conforme à notre réalité », fait remarquer notre interlocuteur. Des déconvenues auxquelles s’ajoutent des causes internes caractérisées par la mauvaise gestion ou les détournements des deniers publics.
Que faut-il faire alors pour l’émergence du continent et particulièrement de la Guinée ?
Au rendez-vous vous du développement économique international, le continent africain ne pèse pas encore lourd. Il faut donc, selon Dr Kaké, repenser les stratégies en vue de relancer la machine et sortir les peuples du carcan de la dépendance. « Le premier élément qui touche tout, c’est la possibilité de mettre en place la bonne gouvernance. Il faut une reforme politique profonde. Comme le disait un économiste en 1999, la Guinée fait partie des pays qui ont la chance de se développer, à condition que soit mise en œuvre une politique de réforme structurelle sur les plans politique et social. Deuxièmement, il faut que nous acceptions de produire ce que nous consommons, pour réduire l’importation. Cela, en créant des industries de substitution à l’importation. Il faut aussi une politique économique qui n’a rien à voir avec ce que nous proposent le Fonds monétaire international et la Banque mondiale. Il faut donc limiter les importations et augmenter les exportations. Notre balance de paiement se redresse positivement, et puis on sera considéré comme un pays sérieux. Sinon je ne vais ni à court terme ni à long terme dire que la Guinée est entrain d’aller vers ce qu’on appelle une croissance soutenue et favorable pour tous les Guinéens. Car, les mesures que je demande sont des mesures structurelles, qui ne sont pas des mesures conjoncturelles et ponctuelles. Et pourtant, on s’intéresse plus aux mesures conjoncturelles et ponctuelles qu’au mesures structurelles, alors que notre problème est d’ordre structurel. En résumé, il faut que les autorités mettent en place les mesures structurelles, nationales et autonomes, et procéder à leur financement », propose-t-il.
Gassime Fofana