Jamais des sujets n’auront simultanément déchaîné les passions comme ceux relatifs à la prorogation du mandat des députés et à une éventuelle révision de la Constitution en Guinée. Alors que des meetings aux relents de campagne pour un Référendum écument la Cité et mobilisent les hauts fonctionnaires de l’État, beaucoup de citoyens s’interrogent sur la nécessité d’une telle entreprise. Le pays vit désormais au rythme des joutes verbales et même parfois des affrontements physiques. Et cela fait craindre le pire. Mais pour Docteur Ben Youssouf Kéita, député de l’UFDG à l’Assemblée nationale, toutes ces questions sont tranchées par la loi. Nous l’avons rencontré et il nous a parlé. À coeur ouvert !
Bonjour Honorable
Bonjour
Est-ce que vous comprenez ceux qui pensent que les députés ne devaient plus siéger, leur mandat étant arrivé à expiration ?
Vous savez nous sommes dans la démocratie. La liberté d’expression et la pensée plurielle sont des acquis auxquels on ne doit pas toucher mais dans les limites prévues par la loi, sans nuire aux autres. Alors là je comprends très bien ceux qui disent que le mandat des députés est arrivé à terme et qu’ils devaient être remplacés. Oui ils ont parfaitement raison. Mais comment remplacer les députés quand il n’y a pas d’élections ? On a un règlement intérieur qui dit que les députés doivent continuer de siéger jusqu’à l’élection de nouveaux députés et à leur installation. C’est une loi organique qui le dit. Donc nous sommes en plein droit de continuer à siéger dans l’intérêt de la Nation et de la démocratie. Parce que s’il n’y a pas de nouveaux députés et s’il n’y a pas d’élection, si nous ne siégeons pas c’est comme si on abandonnait le pouvoir législatif qui est un contre-pouvoir de l’Exécutif et de laisser ainsi la main libre à l’Exécutif de faire ce que bon lui semble. Ensuite, il ne revient pas aux partis politiques et aux députés d’appeler à des élections ou de les organiser. Cela est du ressort du gouvernement et principalement du Chef de l’État.
– Que répondez-vous alors à ceux-là qui estiment qu’en acceptant la prorogation de vote mandat, vous laissez la porte ouverte à un glissement pour Alpha Condé en 2020 ?
C’est totalement différent. Il n’y a aucun article de la Constitution qui limite le nombre de mandats des députés. Ceux-ci peuvent se représenter autant de fois que leurs partis le souhaitent. Par contre, l’article 27 de la Constitution stipule que le Chef de l’État est élu aux suffrages universels pour une période de cinq ans renouvelables une seule fois. Et qu’aucun élu au poste de Président de la République ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs ou non. Monsieur Alpha Condé a été élu en 2010. Il a juré sur la Constitution. En 2015, il s’est représenté. Il a été élu pour une deuxième fois. Il a juré sur la même Constitution. Et cette même Constitution qui lui a permis de briguer deux mandats est la même qui lui interdit de briguer plus de deux mandats en son article 154.
– Pour vous, cette question sur le troisième mandat ou une révision de la Constitution est donc un faux débat ?
Non seulement ce n’est pas un faux débat mais c’est une entorse à la démocratie, une tentative de coup d’État constitutionnel, purement et simplement. Parce que si on peut dire que l’erreur est humaine, persévérer dans l’erreur, elle dévient diabolique. L’actuel Président de la République a juré sur la Constitution pour la première fois sûrement parce qu’il ne comprenait pas bien tout le contenu. Alors j’aurais bien compris qu’il ne jure pas en 2015 sur la même Constitution parce qu’il avait déjà eu cinq ans pour pouvoir en comprendre les avantages et les inconvénients. Il pouvait donc dire en 2015, je ne jure pas sur cette Constitution. Je vais directement proposer son amendement ou en proposer une nouvelle. Ce sera donc beaucoup plus compréhensible et on aurait accepté ces amendements mais sans toucher à l’article 154 relatif aux intangibilités. Car pour qu’il y ait une nouvelle Constitution, il faut une une nouvelle République. Et pour qu’il y ait une nouvelle République, il faut des circonstances exceptionnelles comme un coup d’État ou la vacance du pouvoir survenue suite à la disparition subite à la tête de l’Exécutif. Ce qui remettrait les institutions en cause. Or la Guinée n’a connu rien de tout ça. Le pays a évolué avec la même Constitution depuis 2010 avec le même Chef d’État qui a continué avec après 2015 mais qui, au terme de son mandat, veut changer les règles du jeu. C’est incompréhensible et inacceptable.
– Mais quand Alpha Condé dit : » Je suis entrain d’observer et c’est au peuple de décider « .
Monsieur Alpha Condé n’a jamais été aussi clair qu’il ne l’a été et tous les signaux concourent vers cette révision ou cette nouvelle Constitution. D’abord lui-même laisse planer le doute. Son régime appuie ceux qui prônent l’idée d’un troisième mandat ou d’une nouvelle Constitution. On leur déroule le tapis rouge. Par contre la porte de la prison est directement ouverte pour ceux qui s’y opposent. Si au moins on traitait les deux camps de la même manière, on aurait dit voilà Monsieur Alpha Condé laisse le peuple s’exprimer comme il l’entend. Pour le moment on ne peut pas l’accuser. Mais on finance ceux qui vont faire la promotion du troisième mandat ou la révision de la nouvelle Constitution à coup de milliards, des moyens logistiques et médiatiques de l’État. Et pendant ce temps les autres sont muselés. C’est du deux poids deux mesures.
Ensuite Monsieur Alpha Condé, à la différence de son homologue du Niger, Mahamadou Issoufou, refuse de se déterminer. Lorsqu’on a posé la question à Monsieur Issoufou sur un troisième mandat, il a répondu qu’il n’en est pas question. Et les premières personnes qui ont tenté de le pousser là, ont été tout de suite mises au pas. À Monsieur Alpha Condé, quand on a posé la question, non seulement il l’a évitée mais il s’est énervé. Ce qui est mauvais signe pour la suite.
Enfin, il dit que c’est au peuple de décider. Cela signifie qu’il a l’intention de se représenter. Sinon il y a une Constitution. Il aurait dit, je m’arrête en 2020 et je cède la place à un autre. Car seul le pouvoir de Dieu est éternel. Personne ne peut terminer ses oeuvres à 100%. Un homme vient. Il fait ce qu’il peut faire, va jusqu’à un niveau et c’est un autre qui achève. Donc pour moi ce n’est pas un faux débat. C’est un vrai débat. Et vous avez vu déjà le sang commence à couler et les affrontements aussi. C’est mauvais signe. C’est pour cette raison que, comme l’article 27 de la Constitution le prévoit, ce n’est pas à l’opposition seule de mener ce combat. Tous les Guinéens, épris de paix, qu’ils soient politiques ou pas, doivent se lever pour qu’il n’y ait plus de présidence à vie en Guinée.
N’y a-t-il pas de possibilités à l’Assemblée nationale pour faire barrage à une éventuelle tentative de révision de la Constitution qui puisse mener à un troisième mandat ou à maintenir l’actuel Chef d’Etat au pouvoir au-delà de 2020 ?
Oui bien sûr. L’article 152 de la Constitution donne concurremment au Chef de l’État et aux députés la possibilité de la révision de la Constitution, à la majorité simple. Mais pour voter une modification de la Constitution ou une nouvelle Constitution et si cela doit passer par l’Assemblée nationale, il faut la majorité absolue, c’est-à-dire les 2/3. C’est important de le souligner parce qu’il y a des esprits malins, des hommes politiques qui veulent tromper l’intelligence du peuple en soutenant que c’est à la majorité simple. Et c’est d’ailleurs toute l’importance de la présence à l’Hémicycle des députés de l’opposition notamment ceux de l’UFDG et de l’UFR. Et nous allons y rester jusqu’à une nouvelle élection de députés et leur installation parce que nous sommes des garants de la démocratie. Si nous n’étions pas là, Monsieur Alpha Condé n’aurait eu aucun mal à faire passer la modification de la Constitution ou une nouvelle Constitution à l’Assemblée. Il n’aurait même pas sollicité le peuple. Les élus ont la latitude de voter. Et puisqu’il sait qu’il ne peut pas avoir les 2/3, c’est pour cela qu’il veut passer par le Référendum. Et c’est là que tout le monde doit se donner pour ne pas que cela arrive. Car comme on le dit souvent, » chat échaudé craint l’eau froide « . Mais j’insiste encore une fois, les politiques qui persistent à désinformer le peuple en disant que la nouvelle Constitution ou la modification de la Constitution peut passer par l’Assemblée à la majorité simple, sont entrain de dire des contre vérités et ce sont des malhonnêtes intellectuels. Ce n’est pas possible. Les 2/3 sont nécessaires pour que l’initiative prospère.
Propos recueillis pas Ibrahima Sory Camara