Maître Jean Alfred Mathos, Président de l’Union pour le Progrès de la Guinée- UPG : « nous restés sur notre faim parce qu’en tant que partenaires du RPG Arc-en ciel, j’avoue que nous n’avons pas eu le retour de l’ascenseur et nos populations sont légitimement en colère.»

 

Il est arrivé à la tête de l’Union pour le Progrès de la Guinée (UPG) il y a un peu plus de six mois. Notaire de profession et de carrière, Maître Jean Alfred Mathos a la responsabilité de pérenniser et d’étendre l’œuvre entreprise par l’ancien Président  feu Jean Marie Doré. Dans cette interview, il explique sa stratégie de (re) conquête, exprime la position de son parti face au retard des élections communales et  aux débats autour d’un éventuel troisième mandat en République de Guinée.  

 

Ledeclic.info : C’est en septembre dernier que vous avez été élu Président de l’Union pour le Progrès de la Guinée. Un peu plus de six mois après, comment vous sentez-vous aujourd’hui ?

Je me sens très bien. Vous savez, ma venue à la tête de l’UPG n’est pas un fait de hasard. Je suis venu à ce parti parla conjonction de plusieurs facteurs. D’abord  sur le plan  filial. Le Président Jean Marie Doré a été le Directeur de campagne de mon père avant l’indépendance en 1957. Le second fait déclencheur est que nous avons tous participé, lui et moi, à la transition : j’étais le Président de la commission d’audit et lui  le Premier Ministre. Donc à partir de là, nous avons appris à se côtoyer au niveau de la gestion de l’Etat. Enfin, quand il ya eu des événements en Guinée forestière, on a demandé aux fils du terroir d’aller ‘’dégonfler le ballon’’. Et là je me suis rendu compte que nos parents étaient laissés pour compte ; les politiciens les ont utilisés à des fins électorales pour les abandonner.  Donc j’ai dit qu’ en tant qu’homme politique, on ne peut pas continuer à chercher l’électorat et ensuite abandonner ceux qui ont voté pour nous. Et c’est là que Jean Marie Doré m’a dit ensuite qu’il arrivait pratiquement  à la fin de son parcours politique et qu’il allait soutenir Alpha Condé pour son dernier mandat dans l’espoir qu’il continue de consolider les fondamentaux de la République. Nous avons donc expliqué aux populations que la démocratie est un long parcours, un combat de tous les jours.  Nous les avons donc convaincus de la nécessité de reconduire Alpha Condé pour continuer à consolider les institutions avec les hommes qui les incarnent. C’est ce qui a fait que nous avons soutenu sa candidature. Mais nous sommes restés sur notre faim parce qu’en tant que partenaires du RPG arc-en ciel,  j’avoue que nous n’avons pas eu le retour de l’ascenseur et nos populations sont légitimement en colère.

Ledeclic.info : Dans quel état vous avez trouvé l’UPG ?

J’ai trouvé un parti qui était géré au sommet, qui connaissait un déficit de communication avec ses membres à l’intérieur du pays. Tout était ramené au Président du parti : que ce soit des idées, les finances, … Je me suis retrouvé alors avec un démembrement qui n’existait que de nom. Mais aujourd’hui, nous sommes entrain de faire l’état des lieux et de mettre en place des structures. Nous avons commencé par Boké, nous allons faire Kindia, Dubréka, Fria. Ensuite nous ferons Mamou, Pita, Labé et Koundara. Nous irons après en Haute Guinée pour finir en Guinée Forestière avec N’zérékoré et ses environnants. C’était un dispositif que nous avons mis en place dans la perspective des élections communales. Malgré le report de ces élections, nous n’allons pas baisser les bras, nous allons continuer à rafraîchir les structures.  Il faut certes féliciter et récompenser la fidélité au parti mais il faut ouvrir. Nous remarquons aujourd’hui que la volonté politique de nos citoyens d’aller aux urnes, de vouloir voter utile ou de sanctionner existe, donc chacun veut maintenant participer à la vie politique de sa région, de son village ou de sa section. Cela est un point positif. Ensuite, il y a des déçus des deux grands partis (l’Union des Forces Démocratiques et le RPG Arc-en ciel, Ndlr). Donc il faut aller chercher là-bas aussi. Et moi je n’attends pas d’être l’UPG  de la Forêt, bien sûr que nous avons un fief très important là-bas, mais ma philosophie est que le parti  développe son spectre sur toute la Guinée.  

Ledeclic.info : depuis votre arrivée,  qu’est ce qui a changé aujourd’hui au sein de l’UPG ?

C’est d’abord le rafraîchissement de la classe politique : de Jean Marie Doré à moi Il ya l’âge déjà. Et d’une manière générale,  quand il ya une perte aussi douloureuse d’un chef  de parti charismatique comme le nôtre, le parti meurt. Vous avez vu le PDG ou le PUP. Mais l’UPG a eu cette chance d’avoir des hommes déterminés à perpétuer l’œuvre accomplie par Jean-Marie Doré et ses compagnons. Il y avait ensuite des querelles internes avec certains cadres qui soutenaient qu’il fallait être ancien pour être à la tête du parti. Mais nous sommes parvenus aujourd’hui à dépasser toutes ces questions. Nous avons décidé de donner l’UPG à une personne de conviction ; celui-là qui peut lui conférer l’aura qu’elle avait et même davantage. C’est ainsi que j’ai été élu démocratiquement par les délégués présents ce jour-là.

Ledeclic.info : Est ce finalement facile de succéder à Jean Marie Doré ?

Non!, ça j’avoue parce que Jean Marie Doré fait partie des dinosaures de la politique guinéenne.  Mais il ne faut pas avoir peur de prendre ses responsabilités.  La vie est ainsi faite. Ce sont des successions. Au-delà de la succession au sein de l’UPG, il faudrait maintenant que la classe politique guinéenne change. Cette demande-là existe ; elle est même criante. Les jeunes et les femmes demandent à ce qu’on ne prenne pas toujours les mêmes et qu’on recommence. Il faut renouveler mais pas pour renouveler seulement. Il y a des hommes qui en veulent,  qui peuvent projeter au-delà de ce que les gens attendent d’eux. Ce n’est pas donc pas facile d’hériter ou de succéder à un dinosaure comme Jean Marie Doré. Mais je suis fier de le faire même si ce ne sont pas mes premiers pas en politique parce que j’ai déjà été candidat à la députation sous la bannière de la Cause Commune à Matam en 1993. En outre, je suis issu d’une famille politique. Donc je pense que je suis dans mon élément et j’espère pouvoir y réussir.

Ledeclic.info : Qu’est ce que vous proposez alors concrètement aux Guinéens ?

L’homme politique d’abord c’est de changer le logiciel, l’ethno stratégie et inciter les jeunes à se prendre en charge. Quand vous dites aux jeunes, aux femmes – qui constituent la majorité de la population – d’arrêter de travailler, c’est la Guinée qui va se retrouver au plus mal. Donc cela est déjà une force politique. Un leader d’opinion, ce n’est pas seulement parce qu’on te reconnait dans ton travail, mais à partir de la porte de ta maison, du moment où tu peux réunir quatre à cinq personne de ton quartier, tu es un leader d’opinion. Au moins exerce cette force au service de la société parce que les gens viennent chez toi, tu les écoutes. Alors cherche à répercuter cela.  Voilà ce à quoi nous allons nous atteler.

Ledeclic.info : l’actualité en Guinée, ce sont les Communales. Tous les partis affûtent leurs armes même si l’on va de report en report.  Quelle est votre position par rapport à l’organisation des élections communales ?

Une élection est un ‘’aliment’’ indispensable à tout peuple. C’est à partir des élections que les citoyens ont le sentiment d’être gérés par une personne qu’ils ont choisie ou combattue. Au XXIème  siècle, on ne peut pas ne pas être gérés par des personnes qui ont été  légitimement choisies. Ce n’est pas possible sinon ce sera de la dictature institutionnalisée. Il faut donc faire ces élections. Les bailleurs de fonds, les partenaires bilatéraux, la population, tous les réclament. Bien fait ou mal fait, il faut ces élections vaille que vaille. Pour les Communales, ils ont parlé de la proportionnelle pour que le choix se fasse par le parti majoritaire aux élections. Je n’ai rien contre mais est ce que c’est dans l’esprit du temps ? Même à l’époque de la dictature du PDG, les gens choisissaient localement leurs élus. Alors  pourquoi aujourd’hui on voudrait que le parti dominant puisse choisir son représentant. Mais ça des conséquences graves. Si ce représentant n’a pas été choisi par une majeure partie ou même par une minorité positive, il y aura de l’instabilité. Il faut donc laisser les gens faire démocratiquement leurs choix. Après ça on va au second palier, les législatives et on termine par la présidentielle. Mais je me rends compte qu’on ne se donne pas les moyens. On a reproché à la Ceni ce qu’on lui a reproché. Maintenant, s’il ya des choses à refaire, mais qu’on les reprenne. Il ne faut pas reporter pour reporter. Cela conduit à de la suspicion pour le pouvoir parce que beaucoup diront qu’il ne veut pas aller aux élections parce qu’il pense qu’il va perdre. Donc, l’UPG dans sa position, demande que ces élections se fassent. Quel que soit le mode d’élection, il faut qu’elles aient lieu mais  bien évidemment dans le respect de la loi. Si c’est la proportionnelle qui doit être adoptée, il faudrait que la cour constitutionnelle se prononce et que l’Assemblée nationale l’approuve. Sinon selon la loi organique sur les élections, c’est une entorse à la Constitution. Et si on accepte ainsi, c’est la boîte de Pandore qui est ouverte.

Ledeclic.info : ces élections  devaient  d’ailleurs avoir lieu  en début d’année, mais voila que ça traine encore. A l’UPG, comment réagissez-vous  à ce retard ?

Nous sommes un peu déçus du fait que ces élections ne soient pas organisées jusqu’ici. Je soupçonne d’ailleurs qu’elles soient couplées aux prochaines législatives parce qu’on tourne en rond. Pourtant, il est essentiel que ce mandat ne finisse pas sans qu’on ne sache quels sont les élus aux niveaux communal et législatif. On ne peut pas continuer à piloter à vue.

Ledeclic.info : selon vous Maître, ce retard est finalement dû à quoi ?

A mon avis, ce retard est dû au non respect de la loi. On perd du temps à se prendre la tête sur des explications d’une loi qui est déjà claire. Au niveau de l’Assemblée, le parti au pouvoir  et l’opposition ont fait des accords, mais dans la bataille d’opinions, ils n’ont pas associé même la société civile qui a aussi son mot à dire. Donc finalement on s’est rendus compte que chacun prêche pour sa chapelle, qu’il y a un déficit de communication, que ce sont le parti au pouvoir et l’opposition qui veulent faire passer la loi en force. La cour constitutionnelle a été saisie, mais elle ne s’est pas prononcée. On se demande alors de qui on se moque ? En plus, tout le monde pense à 2020. Le Président fera un troisième mandat ou pas ? Mais je pense que pour que cela s’infirme ou se confirme, il faut déjà passer par les  élections communales et législatives. A partir de là, on verra très bien comment l’avenir politique de la Guinée va se dessiner parce que les forces politiques en présence vont s’équilibrer ou se neutraliser.

Ledeclic.info : Ces élections devront avoir lieu même si on ne sait pas encore quand. Comment comptez-vous vous y prendre à l’UPG?

Nous avons dépêché des inspections à l’intérieur du pays pour évaluer nos forces et nos faiblesses. On s’est rendus compte qu’il ya des fiefs ou des chefs- lieux qui ne sont pas négociables,  là où nous avons nos forces et qu’il faut défendre pour y avoir la majorité.  Nous avons, par exemple une mairie à Lola et d’autres responsables dans d’autres CRD. Ce sont des zones qui ne doivent pas nous échapper. En concertation avec notre allié du groupe parlementaire, (Alliance Républicaine, dirigée par Sidya Touré de l’Union des Forces républicaines – UFR, Ndlr), nous allons voir dans quelle mesure faire des alliances intelligentes avec d’autres forces parce que je dis qu’aucun parti ne peut avoir l’apanage de la majorité ou la totalité des suffrages des Guinéens. Donc l’UPG va surtout centrer sa force sur les jeunes et les femmes pour leur dire qu’ils ont une nouvelle voie qu’ils peuvent choisir et qu’il y a des places à prendre. Nous sommes entrain de renouveler la classe politique pour ceux qui doivent faire la politique dans le vrai sens du mot. Aussi, l’UPG compte faire un corridor entre la Forêt et la Basse Côte pour équilibrer les forces en présence.  Parce que de nos jours, si nous prenons l’UFDG au Fouta, rien n’est négociable comme le RPG-Arc-en-ciel  en Haute Guinée. Pourquoi nous aussi, nous ne pouvons pas dire qu’entre la Forêt et la Basse Guinée, c’est un corridor non négociable ? Aujourd’hui, le Président que je suis, je pense avoir la force de convaincre les jeunes de ce pays de me rejoindre ou de rejoindre l’UPG et même d’autres forces vives qui sont dans le même créneau que nous. Je pense qu’en tant que juriste, je suis loin de pouvoir torde le cou à la loi. Et il faut que ceux qui gèrent ce pays sachent lire entre les lignes et qu’ils puissent respecter aussi la loi. 

Ledelic.info : Les débats au tour du troisième mandat. La question alimente partout en Guinée. Un député s’est même ouvertement déclaré pour. Quelle est votre position sur la question ?

Pour le principe, il ya deux mandats non renouvelables. Sur le plan de la loi, il ya deux mandats non renouvelables. Il ya des parties intangibles de la constitution, celles qui ne sont pas touchables. Alors quelle que soit la volonté d’un député ou de qui que ce soit, ça n’a pas de sens d’aller contre la loi. Ensuite, il y a la bataille d’opinions. Aujourd’hui nous sommes sortis de plusieurs années de pouvoir personnel pour obtenir ce qu’on a obtenu depuis la transition. Heureusement que le législateur à l’époque avait pensé aux parties intangibles : la  forme de la République, l’Etat est unitaire, … On ne  peut pas remettre cela en cause sans y mettre la procédure. Parce que toute loi peut être changée mais il faut de la procédure. Et cette modification a un degré de coercition tel que je doute fort que cela se passe. A supposer, par exemple, qu’il y ait referendum sur la question. Ce referendum peut être du fait du Président de la République ou de l’Assemblée nationale. Mais il faut une majorité qualifiée pour pouvoir réussir la révision  et si ce referendum-là ne marche pas, celui qui l’a déclenché est obligé d’en tirer toutes les conséquences. Mais surtout il faut se demander aujourd’hui si l’opinion guinéenne est prête à voir quelqu’un aller au troisième mandat ? Donc je pense que la question n’est pas de mise. Il faut faire très attention à ceux qui en parlent.

Ledeclic.info : Avant sa mort, Jean Marie Doré s’est toujours revendiqué du Centre. Est-ce que vous allez changer cette idéologie de l’UPG?

Le Centre est un  testament politique que Jean Marie Doré nous a légué. Ce testament puise sa force dans le message et dans la méthode. Dans le message, il explique que tout Guinéen doit aspirer au bien-être minimum. Dans la méthode, qu’il ne faudrait pas qu’entre les gouvernants et les gouvernés, il y ait des clivages en termes de communication, que la feuille de route de ceux qui sont élus et ceux qui gèrent le pays soit connue et qu’ils rendent compte. Le Centre est, pour nous, un espace électoral qui se situe entre les deux épouvantails des deux grands partis politiques : le RPG Arc-en-ciel et l’Union des Forces Démocratiques de Guinée.  Le centre est là pour permettre à ceux qui n’ont pas choisi entre ces deux camps de pouvoir exercer leur droit au vote et leur volonté de participer au développement de la Guinée.  J’en conviens avec lui et je reste fidèle à cette ligne.  

Merci Maître Mathos

C’est moi qui vous remercie

Propos recueillis par Gassime Fofana

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