Lettre ouverte à Alpha Condé, Président de la République de Guinée : «il est important pour vous, Monsieur le Président, de préserver tout l’honneur qui vous entoure », écrit M. Odilon Maomy, Professeur d’Universités à Conakry, en République de Guinée.

Un éventuel troisième mandat pour Alpha Condé attise la flamme des débats en Guinée. Même si le principal concerné ne s’est pas ouvertement déclaré, ses nombreuses esquives sur la question font bondir le camp adverse. Dans une lettre à lui adressée,  l’Universitaire guinéen Odilon Maomy demande à  Alpha Condé de respecter ses engagements.

                                                                                                              Conakry le  03 mai 2017

 

Excellence Monsieur le Président de la République,

Mes devoirs citoyen et républicain m’interpellent au lendemain de ses multiples points de presse au cours desquels  la question sur une éventuelle et troisième mandature de vous à la tête de notre Etat s’est posée.  Conforment à l’article 22 de notre constitution du 7 mai 2010 actuellement en vigueur qui stipule que « Chaque citoyen à le devoir de se conformer à la Constitution, aux lois et aux règlements…

Chaque citoyen a le devoir de participer aux élections, de promouvoir la tolérance, les valeurs de la démocratie, d’être loyal envers la nation», je me fais le devoir de vous adresser cette lettre.

En effet Excellence Monsieur le Président de la République de Guinée, votre avènement à la tête de notre cher Etat-nation : la Guinée, aura suscité beaucoup d’espoirs aussi bien au sein de la majorité que même de ceux-là qui n’auraient pas voté pour votre parti en 2010 et 2015. Cela, malgré ce clivage que les hommes politiques, y compris vous, ont provoqué à travers vos différents discours. Des discours qui ont causé des pertes en vies humaines et tant de blessés. Conscients que cela ne reflète point l’image de havre de paix que devrait revêtir notre pays, l’on ne peut même par peur, rester muet.

Cela y va de soi dans la mesure où le phénomène politique comme objet du droit constitutionnel est appréhendé par D’Alembert comme « l’art de tromper les hommes » ; Musset pour sa part affirmait « la politique, voilà notre misère ! ». Platon quant à lui, prétendait que c’est « l’art d’élever les troupeaux »

Par ricochet Excellence Monsieur le Président de la République, point besoin de vous rappeler l’étymologie du vocable ‘’politique’’, le terme  polis qui signifie cité était le cadre spatial dans lequel les individus se réunissaient. Il s’agit bien des relations des personnes dans le cadre d’une société organisée. Une organisation  de la société non pas selon le bon vouloir ou des caprices des hommes politiques mais plutôt selon que la règle de droit la définisse. D’où l’idée selon laquelle la ‘’politique est saisie par le droit’’ Et ce droit, c’est le droit de la constitution…

Professeur Alpha CONDE, vous savez bien plus que moi que la notion de constitution est née des doctrines du contrat social dominantes au 18ème siècle qui faisaient remonter l’établissement de la société civile à un pacte social originel. L’on se rappellera donc Monsieur le Président Jean Jacques Rousseau et son ouvrage ‘’Du contrat social’’, Montesquieu dans ‘’Esprit des lois’’.

Cela sous-entend que le constitutionnalisme a, historiquement joué un rôle très important dans le sens  de la limitation du pouvoir politique.

Excellence Monsieur le Président, la constitution se présenterait donc comme une barrière contre l’arbitraire du pouvoir politique que vous êtes en toute légitimité et en toute légalité entrain d’exercer.

Aussi advienne que pourra… C’est important pour vous de préserver tout l’honneur qui vous entoure, résultant de ces dizaines d’années de luttes politiques pacifiques. Vous devriez être à la fois acteur et vecteur de la démocratie et de respect des droits de l’Homme en Guinée.

Se poseraient certainement quelques questions sur la procédure d’élaboration et d’adoption de notre actuelle constitution du moment où le peuple n’ait pas été associé?

Me faut-il vous rappeler la position du conseiller national de la transition sur la question du mandat présidentiel en Guinée à cette allure Monsieur le Président de la République en lieu et place de votre Conseiller Juridique?

Bien que piétinant un peu ce qui pourrait être les conséquences sociales et politiques, permettez-moi Monsieur le Président, en lieu et place de vos Conseillers Politique et juridique de partager avec vous ce que je pense de la question.

En effet,

  1. Sur la question de la procédure d’élaboration de la constitution du 7 mai 2010

Il est important Monsieur le Président de nous souvenir de la banale définition formelle de la constitution à laquelle d’ailleurs répond la nôtre.

Ce faisant, la constitution s’entend de toutes règles qui, soit ont reçu une forme distincte (c’est le cas des constitutions écrites telle la nôtre), soit ont été édictées ou ne peuvent être modifiées que par un organe spécifique (édiction par une assemblée constituante), soit édictées et ne peuvent être modifiées que selon une procédure spéciale.

En effet Monsieur le Président,  trois techniques balisent l’établissement de la constitution. Ce sont :

  • La technique autoritaire ou de la constitution octroyée
  • La technique semi-autoritaire du pacte
  • Les techniques démocratiques

La Guinée étant un exemple de démocratie bien qu’avec ses insuffisances depuis toujours, nous oblige de nous pencher sur les dernières techniques.

Ainsi Monsieur le Président, faut-il noter que la technique de l’assemblée constituante souveraine a prévalu sous le règne  du Général Sékouba KONATE. Cette technique vise à confier le soin d’établir et d’adopter la constitution à une assemblée constituante mise en place et souveraine. Elle pourrait aussi être appelée convention dont la mission primordiale est d’établir et d’adopter le texte de la constitution. C’est le cas de la constitution américaine de 1787 adoptée lors de la convention de Philadelphie. Ici, le peuple n’intervient en aucun moment de la procédure.

C’est pour autant dire Monsieur le Président, que le CNT en 2010 faisait office d’assemblée constituante.

  1. Sur la question de la durée et du nombre de mandat

Excellence Monsieur le Président de la République, force est de croire et de réaffirmer de vive voix que l’article 27 de notre constitution reste une de ses grandes valeurs. Une valeur à ne pas sous-estimer ou piétiner puisqu’elle nous permettrait de se taper la poitrine devant certains législateurs au monde, mêmes français. A ce titre, l’article 27 stipule  que « Le président de la République est élu au suffrage universel direct.

La durée de son mandat est de cinq ans, renouvelable une fois. 

En aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels, consécutifs ou non »

L’article 6 de la constitution française lui de son côté stipule que « Le Président de la République est élu pour cinq ans au suffrage universel direct.
Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs.
Les modalités d’application du présent article sont fixées par une loi organique
 »

Excellence Monsieur le Président de la République, le législateur guinéen a été le plus prompt et explicite possible sur la question. Dans une tentative d’explication de l’article 27 et loin de m’ériger en juge d’interprétation, on peut retenir ceci :

2010-2015→ 1er mandat du Professeur Alpha CONDE

2015-2020→ 2ème mandat du Professeur Alpha CONDE.

A PARTIR DE 2020, le peuple de Guinée et vous Monsieur le Président se diront ‘’A DIEU POLITIQUEMENT’’

Une éventuelle possibilité pour vous Monsieur le Président de vous présenter en 2020 résidait dans le simple fait que vous n’auriez pas été réélu en 2015. Dans ce cas il y aurait eu possibilité pour vous de candidater et là pour un seul mandat si et seulement si c’est cette même constitution qui serait toujours en vigueur en Guinée d’autant plus qu’aucune mention n’est faite sur la limite d’âge conformément à l’article 29. Question de se souvenir du dernier alinéa de l’article 27.

  • Sur la question de la protection de la constitution

Monsieur le Président, avec tout le respect dû à votre rang, je voudrais rappeler l’article 45 de notre constitution qui stipule que « …Il veille au respect de la Constitution, des engagements internationaux, des lois et des décisions de justice.

…Il incarne l’unité nationale ». Ce pronom personnel ‘’IL’’ vous désigne aujourd’hui en votre qualité de Président de la République.

En même temps Monsieur le Président, rappelez-vous l’article 35 en vertu duquel vous avez été installé dans vos fonctions puisque vous y aviez prêté serment en ces termes « Moi Alpha CONDE, Président de la République élu conformément aux lois, je jure devant le Peuple de Guinée et sur mon honneur de respecter et de faire respecter scrupuleusement les dispositions de la Constitution, des lois et des décisions de justice, de défendre les Institutions constitutionnelles, l’intégrité du territoire et l’indépendance nationale.
En cas de parjure que je subisse les rigueurs de la loi.
»

Monsieur le Président de la République, de ce serment résulte l’obligation pour vous, sous peine de parjure de respecter et de faire respecter les 162 articles de la constitution parmi lesquels les 27  et autres…

Plus loin Mon Cher Président, l’article 154 de notre constitution en vertu de laquelle vous avez été réélu et prêté serment, donc par laquelle vous tiré toute votre légitimité, verrouille certaines dispositions de la constitution. C’est-à-dire des dispositions qui ne peuvent en aucun cas souffrir d’une quelconque modification. Cet article stipule donc que « La forme républicaine de l’État, le principe de la laïcité, le principe de l’unicité de l’État, le principe de la séparation et de l’équilibre des pouvoirs, le pluralisme politique et syndical, le nombre et la durée des mandats du président de la République  ne peuvent faire l’objet d’une révision ».

En dépit de tout ce qui précède Monsieur le Président, avec l’effectivité des institutions républicaines telles la Cour Constitutionnelle pour laquelle d’ailleurs vous, en tant que garant de la constitution, avez œuvré pour sa mise en place ; cette cour a donc  comme mission de statuer sur toutes questions constitutionnelles bien qu’elle ne s’auto saisisse pas.

C’est à juste titre que je vous invite de passer en revue Monsieur le Président, quelques lignes du discours du Président de ladite cour M. Kelefa SALL lors de votre investiture devant certains de vos pairs africains. Pour reprendre ses termes, il disait « …pendant que vous entamez votre deuxième et dernier mandat [… ] ne pas céder aux sirènes révisionnistes… »

Nul ne peut ignorer l’essor que connait de nos jours le Rwanda à travers le Président Paul KAGAME. Il est ainsi important de souligner qu’il s’agit de deux Etats aux politiques publiques différentes, donc deux Etats avec des volontés politiques et des visions différentes. Deux Etats dont la fragilité des nations n’est pas la même. Deux Etats dont les réalités politico-juridiques ne sont pas les mêmes.

En effet, l’article 101 de la constitution rwandaise stipule que « Le Président de la République est élu pour un mandat de sept ans renouvelable une seule fois.

En aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels ».

Et sur la révision de cette disposition Cher Président, voilà ce que répond le législateur rwandais conformément à l’article 193 « L’initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président de la République après délibération du Conseil des Ministres et à chaque Chambre du Parlement sur vote à la majorité des deux tiers de ses membres.

La révision n’est acquise que par un vote à la majorité des trois quarts des membres qui composent chaque chambre.

Toutefois, lorsque la révision porte sur le mandat du Président de la République, sur la démocratie pluraliste ou sur la nature du régime constitutionnel notamment la forme républicaine de l’Etat et l’intégrité du territoire national, elle doit être approuvée par référendum, après son adoption par chaque Chambre du Parlement…. ».

Monsieur le Président de la République, rien ne saurait justifier la violation de la constitution ni en vous référant à l’exemple rwandais, ni à celui burundais même si son article 96 fixe la durée et le nombre de mandats et qu’en revanche ses articles 297 et suivants relatifs à la révision constitutionnelle ne résout pas la question de façon définitive.

C’est bien évident qu’au Congo Brazaville, le Président SASSOU a réussi à violer les articles 57 et 185 de sa constitution. Mais cela ne pourrait jamais être possible en Guinée.

 

Excellence Monsieur le Président de la République, souvenez-vous du chaos au Burkina Faso en octobre 2014 résultant de la volonté de Monsieur Compaoré de modifier l’article 37 de la Constitution. Cet état de fait me ramène à vous dire qu’il n’y a pas de garantie constitutionnelle plus qu’un peuple éveillé et conscient. Et en tant que jeune, je vous le rassure que le nôtre en est un.

Monsieur le Président, je vous cite un fils africain que je vous invite à avoir comme modèle politique. C’est le Président Thomas Boni YAYI car Descartes disait « le bon sens est la chose la mieux partagée »

Le peuple va décider… Vous l’aviez dit en mai 2016. Il ne décidera pas si vous devriez briguer un nouveau mandat ; plutôt qu’il décidera du respect scrupuleux de la constitution à l’image de celui du pays des Hommes intègres. Et pour ne pas que nous en arrivions là, gardez votre honneur.

Monsieur le Président, vous êtes pour maints jeunes une idole, un exemple de démocrate respectueux des droits de l’Homme. Cela pour réaffirmer que vous vous battrez sans vous lasser pour la démocratie et les droits de l’Homme dans ce pays.

Tout en espérant avoir fait des efforts pour respecter l’article 37 de la constitution qui vous protège contre toutes offenses, et que je serais disponible pour un éventuel face à face avec vous en tant que fils du pays, je voudrais vous remercier pour tout ce que vous entreprendrez pour maintenir la paix et la quiétude sociale.

 

Très respectueusement !

                                                                                         Je vous remercie Excellence!

                                                                                             Odilon MAOMY

                                                                                                                  Juriste

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