Le football: acteur géopolitique et facteur de puissance ( 2ème partie)

En plus de l’engouement qu’il suscite et du spectacle technique ou tactique qu’il offre, le football est devenu en l’espace de quelques années une « arme d’affirmation » pour bon nombre de pays, de personnes privées et autres.  Dans la première partie de son analyse, l’auteur est revenu sur quelques éléments qui certifient et renforcent cette assertion. Et pour terminer, il nous explique, à présent, en quoi le football peut influencer davantage les relations entre les Etats et les politiques; les relations parfois tendues mais qui sont aplanies par les vertus de la balle ronde.  (Par Hamidou Bah, juriste chargé des marchés publics, consultant en géopolitique et sur des questions internationales)  

 

  • LE FOOT COMME AFFIRMATION DE PUISSANCE

Comme on le sait, tous les quatre ans, est organisée la coupe du monde de football. Il s’agit de ou des évènements sportifs les plus médiatisés au monde avec les jeux olympiques. 32 pays participent à cette phase finale sans occulter qu’on va passer à 48 équipes à partir de l’édition 2026. Mais force est de constater qu’un tel évènement n’est pas qu’une compétition sportive. L’impact stratégique ou géopolitique est de plus en plus net et perceptible. Au moment où la mondialisation vient effacer les identités nationales, les compétitions sportives les redéfinissent. Le soutien à l’équipe nationale transcende les clivages sociaux, ethniques, religieux, culturels … faisan de l’équipe le vecteur de l’identité nationale car, rien qu’à cet instant, l’équipe nationale fédère tout le pays. 

L’autre aspect de la puissance du football est l’attribution de l’organisation des compétions footballistiques, que ce soit la coupe du monde, la CAN, l’EURO…. Cette attribution fait l’objet de luttes acharnées et de querelles internes qui menacent parfois les relations interétatiques. Au-delà de l’impact économique (retombées financières énormes), l’enjeu se décline en termes de prestige car ce sont des compétitions hautement médiatisées et de ce fait, le pays organisateur devient le centre du monde durant l’évènement.

En 1996, soit au surlendemain de la fin de l’Apartheid, l’AFRIQUE DU SUD a organisé la coupe d’Afrique des Nations qu’elle remporta d’ailleurs et qui marqua son avènement dans le concert des nations d’un côté et de l’autre, son affirmation en tant que puissance continentale. En 2010, elle a organisé la Coupe du monde de football. C’est la première fois qu’une compétition majeure était organisée en Afrique. Il faut souligner que le politique s’en été mêlé car l’implication personnelle du président MANDELA (prix Nobel de la Paix) a été un facteur déterminant dans l’obtention de la compétition. Alors que nombreux sont les observateurs qui ont émis des doutes sur la capacité d’un pays africain à organiser un tel évènement, celle-ci a été une réussite.

L’attribution des coupes du monde 2018 (RUSSIE) et 2022 (QATAR)a suscité des polémiques notamment de la part des Anglais et d’autres pays qui estiment qu’il y a eu corruption et autres arrangements entres Etats. La FIFA dont l’adhésion est aussi importante que celle des organisations internationales a voulu poursuivre l’expansion du foot à des pays qui ne l’avaient jamais organisé auparavant. Pour la première fois, un pays arabe et musulman va accueillir la Coupe du monde de football. Notons tout de même que rien n’est encore gagné car les incidents diplomatiques que traverse le Qatar actuellement donnent encore une fois une occasion aux sceptiques pour remettre en cause l’organisation de cette coupe du monde par ce pays. Ainsi, on constate que depuis l’édition de 2010 et celle de 2014, ainsi que les 2 prochaines (2018 et 2022), ce sont des pays dits émergents qui ont été attributaires; la FIFA a certainement pris en compte la nouvelle configuration économique et géostratégique mondiale car parmi les quatre, trois font partie des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) qui constituent le deuxièle groupe de pays considérés comme puissances économiques après le G7.

1 964, Socrates, du club des Corinthiens de Sao                                L’équipe nationale italienne, Rome, 1940

 Paulo, affiche les valeurs de la démocratie.                                                                                                                                                  

 

« Guerre et paix. »

La « guerre des cent heures ».

On désigne parfois sous le nom de « guerre du football » l’affrontement entre Honduras et Salvador, en 1969. Lors des éliminatoires de la coupe du monde de 1970, le Honduras bat le Salvador 3-0. Les tensions économiques et politiques sont alors très fortes entre ces deux pays. Depuis la création du marché commun centre-américain en 1962, plus ou moins imposé par les États-Unis qui craignent l’influence montante de Cuba, le Honduras estime être submergé de produits exportés par le Salvador, plus industrialisé. Le climat est alourdi par le différentiel démographique et social entre les deux pays (densité 6 ou 7 fois supérieure au Salvador), et des flux migratoires mal maîtrisés de Salvadoriens en quête de terres du côté hondurien de la frontière. Le gouvernement hondurien engage une réforme agraire dont le principal effet est de confisquer les terres travaillées (parfois depuis des décennies) par des paysans d’origine salvadorienne, et sans titres de propriété. Dans ce climat très tendu, le match aller, le 8 juin 1969 à Tegucigalpa, voit la victoire à domicile de l’équipe hondurienne. Mais les tensions sont avivées par les conditions de la rencontre : les supporters locaux ont manifesté bruyamment sous les fenêtres des Salvadoriens toute la nuit afin de perturber leur préparation. Au Salvador, cette défaite prend les dimensions d’une affaire d’Etat. Avec une charge émotionnelle énorme, puisqu’une jeune supportrice se suicide, n’ayant « pas supporté que sa patrie soit mise à genoux ». La victime a droit aux honneurs de la patrie, pour avoir dénoncé l’offense faite au pays : des obsèques nationales, retransmises en direct à la télévision, accompagnée par le président de la République, le gouvernement et l’équipe nationale de football.

Le match retour a lieu la semaine suivante. Les joueurs honduriens sont assiégés dans leur hôtel et subissent menaces et chahut agressif. Accompagnés au stade dans des véhicules blindés, ils s’inclinent logiquement (3-0). À la fin du match, trois supporters honduriens se font lyncher, entrainant en rétorsion une chasse à l’homme des Salvadoriens au Honduras Pour calmer (?) les deux camps, un match d’appui est organisé à Mexico, et la victoire du Salvador le qualifie pour la suite de la compétition. Le lendemain du match, le 14 juillet 1969, l’armée salvadorienne mène une attaque aérienne contre l’aéroport de Tegucigalpa. Un conflit de quatre jours s’ouvre entre les deux pays. « La guerre de cent heures » fit environ 3 000 morts, 15 000 blessés et des sans-abris, et ne s’achève qu’avec de fortes pressions des Etats-Unis, dans le cadre de l’Organisation des Etats américains qui obtient le retrait des troupes salvadoriennes. Le retour au statu quo est obtenu, la supériorité numérique et matérielle des forces salvadoriennes équilibrant la domination aérienne hondurienne. Mais cette « guerre du football » est loin d’être un conflit d’opérette, et il faut attendre 1980 pour qu’un traité de paix entre ces deux pays soit signé.

Les footballeurs, icônes de paix.

Lorsque Pelé et son club brésilien de Santos vont au Nigeria pour faire du « merchandising » en 1967 en pleine guerre du Biafra, les deux belligérants vont stopper le conflit pendant 48h pour qu’ils puissent jouer leur match et quitter le sol Nigérien. La visite du Roi Pelé est jugée suffisamment importante pour imposer une trêve dans la guerre civile…

Un autre exemple de fraternisation entre adversaires se passe durant la 16ème Coupe du Monde de football. Le 21 juin 1998, se déroule le match États-Unis – Iran, en France. Depuis la révolution Iranienne de 1979, la prise du pouvoir par les ayatollahs, la prise en otage de 52 Américains dans l’ambassade des États-Unis pendant 444 jours, les relations entre ces deux pays étaient très mauvaises. Or à la fin de ce match, une photo commune a été prise des équipes mêlées, alternant Américains et Iraniens pour marquer leur volonté d’échapper aux pesanteurs géopolitiques qui opposent leurs deux pays. Le football peut donc être le baromètre des relations entre les États.

En 2006, une guerre civile éclata en Côte d’Ivoire entre le pouvoir au sud, d’Abidjan, et les rebelles du nord (FANCI, plutôt dominés par les groupes musulmans). Didier Drogba, trois fois Ballon d’or africain, élu meilleur joueur africain, qui est de la même ethnie que Laurent Gbagbo (dirigeant politique du sud, de l’ethnie bété, catholique fervent), va amener toute l’équipe nationale à Bouaké, la principale ville de l’intérieur du pays, à la rencontre des rebelles du nord et essayer de jouer le rôle de médiateur entre les deux pouvoirs, et entre les deux territoires. En 2011, Alassane Ouattara est élu président et de nouvelles violences éclatèrent (environ 3 000 morts). Il fait à nouveau appel à Drogba pour faire partie de la commission « Vérité et réconciliation », qui est utilisée comme faiseur de paix.

En ce qui concerne Israël, jusqu’en 1968, était rattaché à la zone asiatique et pacifique. Cette équipe nationale de football subissait des boycotts et ne pouvait pas jouer dans les pays voisins, pour des raisons connues de tous. Une procédure a donc été engagée afin qu’Israël intègre l’UEFA en dérogeant avec la règle territoriale classique. Il est donc certain que cela a été fait pour des raisons géopolitiques.

Football et mondialisation.

La FIFA, parfois nommée « FIFA mafia », est une organisation supranationale, qui gère le sport mondial en fédérations continentales. Elle compte aujourd’hui 209 fédérations, par héritage historique (exemple le Royaume Uni, qui apparaît dans la FIFA en 4 fédérations différentes : Angleterre, Galles, Ecosse, Irlande du Nord), ou l’acceptation par certains États de la représentation directe au sein de la FIFA de territoires particuliers (ex : la France pour Tahiti). Les risques de tensions et polémiques sont importants, le football servant de tribune, très exposée, à toutes sortes de revendications nationalistes (Catalogne, Pays Basque, Palestine). La FIFA a donc adopté un principe : afin qu’un nouveau membre sportif (une Fédération) soit admis par la FIFA, il doit auparavant être reconnu comme État membre par l’ONU.

En conclusion.

Le football peut être à la croisée de tous ces enjeux : politiques, culturels, économiques. L’importance de l’engouement populaire autour du jeu, des identités multiples qui s’y rattachent, des conflits qu’il cristallise, en font certainement un point d’observation pertinent du monde tel qu’il va.

 

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