Dribbles, passes à l’aveugle, aile de pigeon, coupe de sombrero, feinte de corps, une Panenka, une Madjer… tels sont entre autres des gestes qui font lever des foules dans les stades de football mais aussi devant l’écran du téléspectateur. Ça, c’est le côté jeu et spectacle. Mais le football est devenu en l’espace de quelques années une « arme d’affirmation » pour bon nombre de pays, de personnes privées et autres. (Par Hamidou Bah, juriste chargé des marchés publics, consultant en géopolitique et sur des questions internationales)
Inventé par les anglais, le football moderne a connu une évolution à vitesse grand « V » pour devenir un facteur de puissance et aussi être à la base d’une des organisations internationales apolitiques les plus puissantes de la planète, en l’occurrence la Fédération Internationale de Football Association (FIFA).
Le succès planétaire du football ne se dément pas : la finale de la dernière Coupe du monde (2010, Afrique du sud) a rassemblé au moins 700 millions de téléspectateurs, confirmant les records d’audience enregistrés par ce sport sur la planète entière.
Ainsi, si dans le berceau du football moderne qui est l’Europe occidentale, les clubs de foot rivalisent pour avoir le plus grand palmarès et donc acquérir la manne financière qui va avec, certains d’entre eux et d’autres pays du globe perçoivent le foot comme un moyen de revendication politique, un facteur de visibilité ou encore comme une affirmation de sa puissance.
- LE FOOT COMME MOYEN DE REVENDICATION POLITIQUE
Entre nationalismes exacerbés et dévoyés, hooliganisme et violences sans limites, infiltration de courants extrémistes dans les associations de supporters, revendications d’indépendantistes en tribunes (NOU CAMP à Barcelone et FURIANI en Corse… ), corruption et manipulations, tribunes remplies de dizaines de milliers de supporters vociférant insultes et chants agressifs : le discours est connu sur l’aliénation de masse, le sport « opium du peuple ». J.M. Brohm parle de la « peste émotionnelle » du football, en développant une saillie extrême du foot, dès les années 1970. L’observation de la place du football dans les régimes autoritaires ou dans les systèmes totalitaires présente bien des éléments de confirmation de cette instrumentalisation.
Le Fascisme Italien et le football
Le football participe pleinement à la fascisation du pays : fabrication du consensus, italianisation des effectifs, édification d’infrastructures appropriées, et ainsi élargissement géographique à tout le pays. Dans les années 1920, le fascisme installe près de 2 000 stades en Italie, notamment dans le Sud. Ces stades sont propices aux grandes parades du fascisme, avant les matchs, où défile la saine jeunesse fasciste… Avant la finale de la Coupe du Monde en 1934, le public, pendant trois heures, scande « duce, Italia ». Le football incarne alors ce que le fascisme veut inculquer : les valeurs athlétiques, le primat du corps sur le raisonnement. Dans l’équipe de 1934, « la Nazionale », certains joueurs, dont le capitaine, sont membres du parti de Mussolini. Cette Coupe du Monde fit scandale au niveau de l’arbitrage. Le président de la FIFA qui avait créé la Coupe du Monde dit à ce sujet que « le véritable président de la FIFA, c’est Mussolini ». En quart de finale, l’Italie est opposée à l’Espagne républicaine, c’est donc un match à haute portée idéologique. Après leur victoire, les joueurs sont reçus par Mussolini, au Palais des Doges, à Venise, en uniforme fasciste. L’instrumentalisation politique du football par un régime totalitaire ne fait que commencer (on est alors à deux années des JO de Berlin).
Le football est, depuis les années 20 un instrument pour des organisations à caractère politique, de faire entendre leur voix. Les indépendantistes catalans n’ont pas hésité, lors des matchs du championnat espagnol ou de la ligue des champions, d’afficher des banderoles (TIFOS) où est largement écrit en anglais « CATALUNA IS NOT IN SPAIN ». Une façon de revendiquer l’indépendance dans cette riche région espagnole qui a des velléités sécessionnistes depuis de nombreuses années. Il faut souligner aussi que durant les années du franquisme en Espagne, Franco soutenait mordicus le Réal Madrid aux dépens des autres clubs et surtout le FC Barcelone. Il en va de même pour les indépendantistes corses.
Lors de la Coupe du Monde de 1974 à Hambourg, au nord de l’Allemagne, un but permet à un homme de rentrer dans l’histoire : contre toute attente, l’avant-centre de l’équipe de l’Allemagne de l’Est, Jürgen Sparwasser, marque un but contre l’équipe de l’Allemagne de l’Ouest : moment clef de pour la nation allemande et les deux États qui s’opposent dans la Guerre froide. Des Allemands jouant contre des Allemands, avec la STASI qui surveille (et interdit à l’avance toute forme de fraternisation comme l’échange de maillots…).
L’autre exemple qu’il convient de citer est l’attaque à la mitraillette du bus de l’équipe nationale togolaise en partance pour Cabinda faisant un mort et plusieurs blessés afin de prendre part à la phase finale de la CAN 2010. L’attaque a été revendiquée, dans un communiqué, par les Forces de libération de l’Etat du Cabinda (FLEC). Une province angolaise déchirée par un conflit séparatiste depuis l’indépendance du pays, en 1975. Les rebelles demandent l’autonomie de l’enclave de Cabinda, située au nord du pays.
Les exemples sont multiples mais de manière sociologique, on peut noter également qu’en Afrique, toutes les équipes qui remportent la Coupe d’Afrique des Nations sont reçues par les présidents afin de s’approprier la victoire et la mettre au crédit de leurs bilans. Cette façon de faire marque l’étroit lien qui unit le foot et la politique dans le monde et plus particulièrement dans les régimes politiques décriés en Afrique. Dans certains cas de figure, le foot sert de tremplin, de visibilité pour certaines entités ou certaines personnes pour se lancer dans l’arène politique ou dans des organisations internationales.
- LE FOOT COMME OUTIL DE VISIBILITE
Cette partie parle plus précisément des personnes qui se sont servies du football pour gravir les échelons et arriver à des sphères de décisions ou de pouvoir énormes. On peut citer :
Le club congolais de TP MAZEMBE en est la parfaite illustration. Le président-propriétaire (Moise KTUMBI) qui est à la base un homme d’affaires du secteur privé a acquis l’institution en 1997 et a bâti un travail colossal remportant notamment sur son magistère 10 titres de championsde la RDC, 3 ligues des champions africaines, 2 coupes de la RDC, 3 Supercoupes de la CAF ….Ces trophées sont la résultante des finances qu’il a personnellement consenties. Le résultat est que si on se place d’un point de vue stratégique, mis à part le fait qu’il est riche, Katumbi en a profité pour être populaire, soigner son image jusqu’à être le gouverneur de la puissante et richissime province katangaise. Il ne s’arrête pas de si bon chemin, avec ce pouvoir de gouverneur qu’il exerce tout en étant concomitamment président et propriétaire du club, sa popularité le pousse à se lancer dans la politique, (ses relations avec le président KABILA s’étant détériorées et avec le décès d’Etienne TSISHEKEDI) il créa une coalition des partis politiques de l’opposition et vont partir à la conquête du pouvoir. Son dernier fait d’armes est d’avoir porté plainte contre la RDC en début juin auprès de l’ONU à Genève. Rappelons qu’il est en exil mais le club est toujours sa propriété.
En Guinée, la tendance est de mise car nombreux sont les hommes d’affaires qui ont profité de leurs richesses pour « acheter » des clubs pour des raisons diverses. Le fait le plus marquant est celui de l’actuel président de la fédération guinéenne de football ANTONIO SOUARE. N’étant pas inconnu des guinéens, ce mécène a bâti sa fortune avec sa société Guinée Games avant d’acquérir l’un des clubs les plus populaires du pays et en faire une machine à remporter des titres nationaux et part à la conquête de l’Afrique. L’achat du HOROYA comme c’est de ce club qu’il s’agit, a permis à SOUARE d’intégrer les instances dirigeantes du foot guinéen jusqu’à en devenir le président de la fédération avec un score sans appel.
L’autre facteur de visibilité du « sport roi » est sans nul doute la publicité. Elle brasse des sommes colossales qui contribuent à la santé financière des clubs et autres équipes nationales. Les montants dont on parle actuellement en Europe pour les grands clubs donnent des vertiges à toute personne. Les entreprises qui signent de contrat de publicité avec les footballeurs et les clubs tirent en contrepartie une visibilité leur permettant de faire augmenter leurs chiffres d’affaires. Le petit émirat du Qatar jusqu’à un passé récent qui était inconnu dans bon nombre de parties du monde, a bousculé les codes en convainquant le puissant FC Barcelone de mettre sur son maillot le logo du fond souverain du pays QATR FUNDATION moyennant de dizaines de millions d’euros par an entre 2010 et 2016, juste pour des questions de visibilité.