Violences inter communautaires, opérations de cellules djihadistes, crises gouvernementales, élections présidentielles à haut risque à venir… tel est entre autre le menu de la situation ouest-africaine actuelle. (Par Hamidou BAH, Chargé de la commande publique, Consultant international, Spécialiste en Géopolitique)
En Afrique de l’Ouest, la balkanisation des Etats a rendu le vivre ensemble très compliqué, voir incertain. Cette balkanisation est la résultante du principe appelé UTI POSSIDETIS JURIS adopté par l’OUA à la suite de la « guerre des sables » entre le Maroc et l’Algérie. L’Organisation de l’unité africaine décide en 1964 que le principe de l’intangibilité des frontières coloniales serait appliqué à travers toute l’Afrique. Une grande partie de l’Afrique étant déjà indépendante à ce moment, la résolution était donc une directive politique pour régler les contestations territoriales grâce à un traité se fondant sur les frontières préexistantes.
Cela a eu pour conséquence la séparation des tribus qui jadis vivaient dans un même territoire et partageaient le même dialecte. Au lendemain des indépendances, certaines de ces tribus se retrouvent morcelées dans plusieurs Etats et obligés de vivre avec des tribus antagoniques.
Si pendant la période coloniale les colons ont réussi malgré eux à fédérer les ethnies autour d’un idéal commun qui est la conquête de l’indépendance, une fois cet idéal acquis, la déception prendra vite place à la joie car les « pères » des indépendances qui étaient censé tracer une feuille de route pour l’unité de tous les peuples ont,quant à eux usés de la politique de diviser pour régner afin d’asseoir leur pouvoir. Cette politique a eu pour conséquences de nombreuses guerres civiles à travers le continent dans les années 90.
Et pour ne rien arranger, l’ancienne puissance coloniale, se fondant sur des questions de démocratisation, imposa aux pays africains le multipartisme lors de la conférence de la Baule du 20 juin 1990 (37 pays présents).
La France fera comprendre à ces pays que désormais, l’aide au développement sera conditionnée par l’ouverture démocratique.
Selon Roland Dumas, le discours de MITTERAND se résume ainsi : « Le vent de liberté qui a soufflé à l’Est devra inévitablement souffler un jour en direction du Sud (…) Il n’y a pas de développement sans démocratie et il n’y a pas de démocratie sans développement ».
L’idée n’était pas mauvaise en soi, étant donné que l’objectif était de lutter contre les présidences à vie. Mais la réalité sera toute autre dans le contient. Le multipartisme se révèlera être une boite aux pandores. Les partis politiques à base ethnique vont fleurir comme des champignons. N’ayant pas de programme de société et de développement à proposer aux populations, les pseudos leader véhiculent des discours ethniques pour monter les ethnies les unes contre les autres.
Violences interethniques
Nigéria, Burkina Faso et surtout le Mali, ces pays défraient la chronique depuis quelques années à cause des violences interethniques qui s’y produisent. Au Nigeria on peut rajouter une connotation religieuse du fait que la secte islamiste BokoHaram se base sur l’islam pour commettre des actes de barbarie d’un autre temps. Malgré la réduction notable du nombre d’attaques, cette nébuleuse est loin d’être éradiquée et elle constitue une menace permanente pour la paix, la sécurité voire même l’unicité du pays.
En ce qui concerne le Mali, la situation se dégrade au jour le jour. L’absence de l’Etat dans le centre et le nord du pays a profité aux réseaux djihadistes, aux bandes armées et aux criminels de tous genres pour en faire leur cadre d’opération. A l’époque où le conflit ne concernait que les indépendantistes de l’AJAWAD, la situation était plus ou moins sous contrôle avec les différentes signatures d’accords de paix entre Bamako et les groupes indépendantistes. Depuis que les acteurs se sont multipliés, la situation s’est dangereusement détériorée jusqu’à mettre aux prises les différentes ethnies entre elles. Les massacres de masse sont légion, l’inertie de l’Etat malien se passe de commentaires. Les forces de sécurité maliennes évitent les zones concernées et sous-traitent la sécurité avec des milices pas ou peu recommandables. Les forces BARKANE et MINUSMA brillent par leurs absences. Devant tous ces états de fait, les populations se font justices elles-mêmes. Et donc perpétuent le cercle vicieux de vengeance en vengeance.
Proximité géographique oblige, le cas malien s’est exporté au pays des hommes intègres avec les mêmes symptômes et les mêmes maux.
Présidentielles de tous les dangers ?
A côté de ces tueries de masse qui émeuvent toute la sous-région, d’autres éléments d’actualité montrent que l’Afrique de l’Ouest est en pleine ébullition.
Au Bénin, le président TALON est en train de transformer ce petit pays jadis modèle de démocratie en Afrique, en une dictature incertaine. En Guinée-Bissau, une crise gouvernementale perdure depuis près de vingt mois. Le Niger, lui, est devenu le grand camp de rétention des migrants en partance pour le vieux continent.
Mais les cas les plus inquiétants restent les présidentielles en Côte d’Ivoire et en Guinée . L’histoire récente des différentes élections dans de nombreux pays africains a été écrite non pas par les victoires des présidents concernés mais par les violences qui les ont émaillées. Que ce soit dans les deux Congo, au Gabon, au Kenya, en Côte d’Ivoire, en Guinée, au Togo… les points communs sont les mêmes : il s’agit des fraudes, des violences inter ethniques… L’exemple le plus illustratif est sans nul doute celui de la Côte d’ivoire où déjà les prémices sont apparus avec le concept de « l’ivoirité » chère à l’ancien président BEDIE. Ce type d’ethnocentrisme étatique a pour conséquence l’éclatement du tissu social et dans le cas ivoirien il a conduit aux violences post électorales entre 2010 et 2011 ayant fait plus de 3000 morts.
Il faut observer que le volet ethnique concernait les dioulas (ethnie du nord) dont est issu l’actuel président et les bétés ou autres agnis. A l’approche de la présidentielle de 2020, le concept de l’ivoirité a refait surface car les uns estiment toujours que le président Ouattara n’est pas un vrai ivoirien.
Il en a été pareil en ce qui concerne la Guinée. Malgré que le nombre de victimes n’est pas le même, les violences qui ont émaillé les différents élections en Guinée depuis les neuf dernières années ont été d’une gravité sans précédent. Le pays est plus que jamais divisé. Toute question liée au manque d’infrastructures, à l’amélioration de la condition de vie des populations, à la lutte contre la corruption et les détournements des fonds publics est systématiquement politisée, ethnicisée et communautarisée.
Ce qui est inquiétant dans ces élections, c’est la banalisation des violences qui les accompagnent. Les représentants des organisations internationales qui viennent en observation ont coutume de minimiser les violences en utilisant une expression Ô combien répugnante qui veut qu’une élection n’est jamais parfaite. Cela a fini par donner de la confiance aux leaders politiques pour attiser les discours ethniques afin d’en tirer profit.
Devant le mystère dont fait preuve le président CONDE sur sa volonté ou non de modifier la constituion ou encore de doter le pays d’une nouvelle constitution, qui lui permettra, selon ses détracteurs, de se représenter pour un troisième mandat, des organisations de la société civile et de l’opposition ont créé un front de défense de la constitution.
Les manifestations et les contre manifestations entre partisans et opposants du changement constitutionnel ont fait des blessés et des morts alors que le président ne s’est pas encore prononcé sur la question.
En définitive, il faut se mettre à l’évidence que la situation en Afrique de l’Ouest est très préoccupante. Le Mali se dirige tout droit vers une « rwandisation ». On hésite encore à utiliser le terme génocide, mais à la vitesse à laquelle les tueries se font, cela ne devrait pas tarder. Et pendant ce temps-là, Bamako ne fait pas grand-chose. Le lendemain n’est pas enchanteur pour le voisin burkinabé non plus. L’armée n’arrive pas à contrer ou à faire stopper les violences. Avec la porosité des frontières et les similitudes des différentes communautés, le risque de contagion dans les pays voisins et de leur désétatisation est à prendre très au sérieux.
D’un autre côté, au vu de ce qui se passe en Guinée et en Côte d’Ivoire, il est clair que l’incertitude règne sur la tenue ou non des présidentielles en 2020. Toutes les hypothèses sont vectrices de violences potentielles : que ce soit des élections présidentielles truquées, des modifications des constitutions, de glissement de calendrier… Et il n’est pas exclu qu’on assiste à de périodes de transition s’il y a des risques de violences majeurs et qui font que les armées prennent leurs responsabilités.
Espérons que tous ces dangers s’éloignent de nous.