Docteur Alhassane Makanéra Kaké est un analyste connu par son franc- parler et ses analyses pertinentes des questions d’actualité guinéenne et internationale. Aujourd’hui, le juriste et spécialiste des Finances publiques décrit le système judiciaire et économique de la Guinée ainsi que les problèmes qui entravent le développement de ces secteurs.
Ledeclic.info : selon vous, de quoi souffre le secteur judiciaire en République de Guinée ?
Dr A. Makanéra Kaké : si on fait l’état des lieux, on se rend compte que les états généraux de la justice et l’unique enquête nationale sur la corruption en Guinée ont montré en 2005 que le secteur le plus corrompu c’est le secteur judiciaire. Mais pour comprendre ce dysfonctionnement, plusieurs facteurs interfèrent. Le premier facteur est relatif aux ressources humaines. On fait peu d’efforts pour doter les institutions judiciaires d’hommes mieux qualifiés. Le deuxième, c’est la formation. Vous savez en Guinée, malheureusement, le juge guinéen est à la fois juge administratif et juge judiciaire. Il joue les deux rôles. Alors que dans le système français notamment, c’est séparé. Vous êtes spécialisé pour la formation administrative ou celle judiciaire. Mais chez nous, c’est le même juge qui le fait. Autre élément de dysfonctionnement, c’est le manque d’infrastructures. La justice est le symbole de l’Etat. Regardez le Palais de justice. Regardez dans quel état ces établissements fonctionnent. C’est des bâtiments privés mal entretenus. Normalement quand on voit le symbole de l’Etat, on doit savoir que l’on est devant le symbole de l’État. La justice doit faire peur, mais en Guinée elle ne fait pas peur, compte tenu du niveau de traitement des magistrats. Cela relance les débats sur l’indépendance de la justice. Cette indépendance est non seulement institutionnelle, mais aussi personnelle. Si moi juge, je fais auto censure, je ne suis plus un bon juge. Si je dis quand je vais prononcer telle décision, qu’est-ce que tel ou tel va dire, je cesse d’être indépendant. Donc l’auto censure tue notre structure administrative. Et ensuite l’influence de l’autorité administrative dans les affaires de la justice. Le dernier élément, c’est le faible contrôle sur l’exécution des décisions de la justice. Quelqu’un peut être condamné, il ne purge pas sa peine, il n’a pas été gracié, il est libéré.
Qu’est-ce qu’il faut faire alors face à ces problèmes ?
Il faut spécialiser les magistrats. Il faut aussi faire fonctionner la Haute Cour de la magistrature, des structures en leur donnant assez de pouvoirs. Et si on fait cela, notre système judiciaire peut sortir sa tête de là où il est engouffré.
Quel regard portez-vous sur le secteur économique guinéen ?
Il faut avoir le courage de le dire : ce secteur est peu légiféré. Il y a très peu de réglementation. Par exemple, on fait le commerce général, l’importateur est grossiste, il est demi – grossiste et il est détaillant. C’est tout. Et si vous regardez la structure de l’économie, on n’a pas mis en place un mécanisme qui peut booster le domaine. Par exemple, un commerçant, il n’a pas les moyens, mais il a des clients. Si on ne lui passe pas de crédits, il est obligé de trouver de l’argent pour acheter une marchandise à vendre, alors que dans les autres pays, il signe un papier, il prend tout ce qu’il veut, conformément à ses engagements. S’il met trois mois, trois mois après, il paie. Ce système est absent dans notre réglementation en Guinée. Autre exemple, tu amènes dix véhicules, on te sort le bon de 50 millions, on te donne les véhicules pour vendre et après tu paies cet argent. Cet autre accompagnement n’existe pas non plus dans notre pays. On a donc beaucoup à faire pour discipliner, pour réglementer, pour réguler l’activité économique, et surtout orienter vers ce secteur ce dont nous avons besoin. Par exemple, on veut que nous consommons le riz guinéen, mettons en place tout un ensemble de mécanismes qui permet de produire le riz en Guinée. Mais ce n’est pas dire par un discours qu’il faut produire. Il faut pousser les gens à produire. Un autre exemple, si on dit à un paysan : vous trouvez deux hectares, vous prouvez que ça peut rester avec vous pendant dix ans, l’Etat vous donne tous les moyens pour cultiver.
Si ça ne réussit pas, vous bénéficiez de ce qu’on appelle caisse de compensation. Avec ça, les gens iront faire l’agriculture. C’est ce qui se passe au Maroc. Maintenant, malheureusement, ceux qui ont les moyens en Guinée, préfèrent la spéculation. Alors que la spéculation ne peut pas faire avancer un pays. Ça crée des nids et des poches de richesses. C’est tout. Alors que si on fait de l’investissement, c’est ce qui peut développer le secteur économique. Et pour investir, il faut contrer la spéculation. En résumé, notre secteur économique est peu légiféré. On s’est juste arrêté à une disposition générale.
À quoi sert notre politique budgétaire alors ?
Notre politique budgétaire n’est pas au service du développement économique et social. L’instrument pour stimuler le secteur économique, c’est le budget, la fiscalité et la législation. Donc chez nous, il y a carrément un divorce entre le budget, le rôle qu’il doit jouer dans l’économie et le secteur clé.
Aussi malgré les ressources disponibles sur son territoire, la Guinée est toujours confrontée au déficit énergétique. Comment expliquer ce paradoxe ?
D’abord, on a fait une mauvaise politique énergétique depuis l’indépendance. Le thermique ne tient pas. Le coût est élevé. Il faut l’hydraulique. Selon les données statistiques et administratives disponibles, la Guinée dispose de 1400 cours d’eau qui peuvent être transformés en hydraulique. Donc j’aurai souhaité en lieu et place de grands investissements comme Kaléta ou Souapiti, une politique énergétique de régionalisation. Par exemple, on a huit régions administratives, dans chaque région administrative, on fait une petite centrale hydroélectrique. On décentralise carrément ou on régionalise la gestion de l’énergie. Chaque région administrative aura son EDG, électricité de Guinée Régionale. Et si on fait cela, on sépare complètement l’énergie pour la consommation et l’énergie industrielle. Maintenant, on fait Souapiti et Kaléta pour l’industrialisation. J’aurai préféré cette séparation d’abord. Et deuxième niveau, pour la Haute Guinée. Comme il fait chaud là-bas, on tombe dans l’énergie solaire. Par exemple, on impose aux sociétés minières de l’énergie solaire pour électrifier les villages environnants. Ça ne coûte rien. Elles peuvent le faire. C’est l’idée qui n’a pas été avancée. Il faut se débarrasser complément du thermique. Abandonnons les moteurs. On ne peut pas tenir.
Et le secteur des transports ? Il est très capital mais encore beaucoup faible.
Oui parce que nous n’avons pas de routes. J’ai fait Conakry- Côte d’Ivoire. Quand je suis arrivé à Lola, j’ai vu combien de camions quittent N’Zérékoré, destination Côte d’ivoire avec des bananes. C’est plus facile pour le paysan de N’Zérékoré d’amener sa banane vers la Côte d’ivoire que vers Conakry. Là-bas ça lui fait une demi- journée ; Conakry ça lui fait une semaine. Dans ce sens, le transport ne peut pas développer. Il y a effectivement de la production, mais du fait qu’on a pas de voies de communication, ça pose problème alors qu’on pouvait bénéficier des avantages de la route en créant des réseaux. Cela veut dire quoi ? Par exemple, moi planteur de bananes, on achète mes bananes récoltées dans mon champ. Dans ce cas, celui qui achète, est à sa charge le transport. Peut-être il va déposer chez le vendeur. Lui aussi il se limite à ça. Le vendeur va vendre soit en gros, soit en détails. Donc on a créé toute une structure, de la production à la commercialisation. Mais en Guinée, le paysan est à la fois producteur, transporteur et vendeur. Avec ça, c’est impossible de s’en sortir parce que, tout le circuit de la production à la commercialisation, c’est la même personne. Certes l’état actuel de nos routes pose problème mais c’est l’organisation qui pose plus de problèmes. Parce qu’il n’y a pas de routes, mais les miniers eux transportent les ressources du sol et du sous-sol.
Propos recueillis par Gassime Fofana