Quatre jours de concertations, quatre jours pour redémarrer les pendules sociopoltiques à l’arrêt depuis le 05 septembre dernier en Guinée. Quatre jours pour recenser surtout les opinions des forces vives du pays relativement à la conduite de la transition qui s’ouvre après la chute du régime d’Alpha Condé. Mais avant même la fin de ces consultations et d’en connaître les grandes recommandations, plusieurs acteurs livrent déjà des propositions à la junte afin de ne pas ressasser les erreurs du passé. Dans les lignes qui suivent, le spécialiste en Finances, Dr Alhassane Makanéra Kaké, met l’accent sur le terme coup d’Etat, rappelle ensuite les raisons qui ont conduit le pays à cette situation avant d’accentuer son intervention sur les moyens de réussir la transition et les défis qui attendent la junte militaire dirigée par Colonel Mamady Doumbouya.
« L’ancien président, professeur Alpha Condé, nous a dit qu’il a hérité d’un pays et non d’un État. Et par la suite, il ne nous a jamais dit s’il a pu construire l’Etat. Pour la simple raison que les réformes de l’État et la modernisation de l’administration se sont soldées par des échecs. La question que je me pose alors est celle de savoir : là où il n’y a pas d’Etat, est- ce possible de faire un coup d’Etat? C’est pourquoi je mets l’expression coup d’Etat entre guillemets. Aujourd’hui, nous sommes dans une situation exceptionnelle où les institutions et la Constitution sont dissoutes. Dans ce cas, les gens vont se poser la question : où allons – nous ? Mais moi j’aimerais ajouter deux autres questions avant où allons nous ? Où étions- nous ? où sommes-nous ? Et enfin où allons – nous ? Car pour pouvoir savoir où tu vas, il faut savoir où tu étais ? Où tu es? pour dire maintenant où tu vas », explique-t-il.
« Ce sont des erreurs du passé qui nous rattrapent »
Pour Dr Kaké, la situation actuelle de la Guinée est fille du passé. « Il faut savoir que le résultat de ce changement ne date pas d’aujourd’hui. En 2001, lorsque la classe politique, la majorité, a décidé un troisième mandat pour Lansana Conté, j’avais écrit pour informer, alerter les Guinéens. J’avais dit : si vous donnez le droit à Lansana Conté de briguer un troisième mandat, vous donnez l’occasion à celui qui va venir de faire un troisième mandat. Finalement, si on continue dans cette logique, on risque de se retrouver dans la monarchie. Et effectivement, les autres qui étaient là pour le troisième mandat, 20 ans après, Ils m’ont donné raison. Donc il faut commencer là pour mieux comprendre pourquoi nous sommes arrivés à ce point. Pourquoi nos lois ne sont pas respectées ? Nos institutions sont faibles ? Pourquoi les petits groupes de fonctionnaires et de cadres détournent l’argent de l’Etat ? Pourquoi l’Etat est devenu la propriété privée d’un groupe de personnes ? Je prends l’exemple sur le service d’immatriculation. Les véhicules qu’on immatriculait à 1.000.000, aujourd’hui on dit 7.000.000 GNF et quelques. Et que dans ça, l’Etat a 50%. C’est de la magouille… Et ce qui est choquant, on dit que l’Etat a 50% et le particulier 50% », s’indigne-t-il.
Poursuivant son raisonnement, le spécialiste en Finances s’interroge sur les différentes périodes de transition qui n’auront pas permis de jeter les vraies bases du développement et de l’enracinement de la démocratie en Guinée. « Pourquoi est-on arrivé jusqu’à ce point ? Pour moi, c’est parce qu’on a raté trois fois la transition. Dadis est venu, on a raté. Konaté est venu, on a raté. Pourquoi ? La réponse est simple. Dès qu’il y a transition, on pense que ce sont les élections qui règlent les problèmes. C’est pourquoi on a fait trois fois, on a échoué trois fois. On ne se pose pas la question : est – ce que le problème de la Guinée c’est seulement faire les élections ? Les faits nous ont prouvé que ce n’est pas ça. Donc essayons de voir, en plus des élections, ce qu’il faut faire », suggère-t-il.
Auditer, récupèrer les biens publics et suspendre l’exécution du budget de loi des finances rectificatives 2021 !
« Ceux qui ont détourné l’argent de l’Etat, faisons qu’ils remboursent. Ceux qui ont privatisé les biens de l’État, qu’ils les retournent. C’est une décision simple. On n’a pas besoin de consulter pour ça. Ensuite, on regarde les établissements publics , parce qu’ il y en a plus de 146 qui doivent faire rentrer l’argent à l’Etat. Toutes les structures qui font rentrer de l’argent, auditez- les. Il faut aussi suspendre l’exécution du budget actuel, parce qu’ il y a trop de faux problèmes dedans. Les gens se sont enrichis à travers ce budget. C’est pourquoi il faut l’annuler », soutient Dr Alhassane Makanéra Kaké.
Connaître les besoins des Guinéens avant de fixer une date !
En résumé, notre interlocuteur précise que la question fondamentale ne peut pas commencer par la durée de la transition. Il faut, plutôt selon lui, savoir ce que les Guinéens veulent pour leur pays. « Si nous tombons d’accord pour éditer une nouvelle Constitution, ce qui reste clair, en six mois, c’est réglé. Mais si on veut plus que ça, c’est la réalisation des différents besoins qui va conditionner la fixation de la date ou de la durée de la transition. Mais jusqu’ici, on a toujours fixé les délais sans savoir ce qu’on veut faire. En termes concrets, si je veux faire le maïs, c’est entre 4 et 6 mois. Il y a des variétés de riz qui prennent 3 mois. Mais si je veux une plantation de palmiers, le minimum, c’est 6 ans… Je prends des exemples simples comme ça, pour dire que la durée de la transition doit être fixée en fonction des besoins exprimés par la population. En plus, il faut mettre en place des organes de transition, en leur attribuant des rôles spécifiques, en mettant à côté un organe de veille, pour ne pas dire de contrôle, qui va corriger les dysfonctionnements… Pour le reste, franchement, on n’a pas besoin d’aide. L’argent est là. On peut le faire sortir, parce qu’on sait où il y a cet argent. Très simple ! Une petite bonne gouvernance, trois mois après, on règle beaucoup de choses », conclut-il.
Gassime Fofana