Le ministre du budget, engagé dans un vaste plan de lutte anti-corruption, se défie des traditions fiscales informelles. Produit de la méritocratie guinéenne formée à l’étranger, il s’est lancé depuis janvier 2016 dans la réorganisation structurelle de son administration. Entre croissance retrouvée et premier scandale : jusqu’où ira Mohamed Lamine Doumbouya ?
Mohamed Lamine Doumbouya est né à Conakry en 1972. « Mon père était comptable et mère sage-femme. J’ai eu une enfance classique », confie le ministre aujourd’hui marié et père de 3 fils. Consensuel, il dit s’inspirer du Mahatma Gandhi, de Nelson Mandela et de Martin Luther King Jr. : « Ce sont des exemples car ils ont tous prôné la paix (…) Personnellement, je suis un homme de dialogue.»
Titulaire d’un Doctorat en Sciences économiques, il entame sa carrière comme professeur à l’Ecole Centrale de Lyon (2005-2007). Il enseigne ensuite à la Faculté des Sciences économiques et de Gestion de Lyon 2 ainsi qu’à l’ENTP et à l’Ecole de Commerce Européenne. Expatrié au Canada entre 2010 et 2013, il devient professeur à l’Université d’Ottawa et au CEGEP de l’Outaouais. En parallèle, il est chercheur au Centre de Recherche et de Transfert en Intelligence Territoriale (CERTIT). De retour en Guinée, il rejoint la Faculté des Sciences économiques et de Gestion de Sonfonia à Conakry entre 2014 et 2015.
Expert en économie et en gestion budgétaire, il est membre du Conseil de coordination économique et des réformes du Comité technique d’harmonisation de la balance des paiements, dans le cadre du Programme de Facilité Elargie du Crédit, avec le Fonds Monétaire International (FMI) et la Banque mondiale. En 2013, Mohamed Lamine Doumbouya est nommé conseiller spécial à la Primature, en charge des questions monétaires et bancaires avant de devenir le nouveau ministre du budget le 4 janvier 2016.
Au regard de son parcours, il déclare : « Mon plus grand succès est d’accompagner la Guinée dans son développement et d’y contribuer personnellement. » Quant à ses ambitions politiques, il s’en amuse : « Je me réclame de l’enseignement. La politique politicienne n’est pas ce qui m’intéresse.»
Le ministre de la croissance post-Ebola
L’épidémie d’Ébola – qui a fait fuir les investisseurs en 2014 – associée à l’appréciation du dollar américain (+11%), ont précipité la Guinée dans la crise. Deux ans plus tard, la situation a évolué et l’arrivée du ministre au Budget marque le retour de la croissance. Cette reprise tient essentiellement à la hausse de la production de minerais (bauxite, or) et à l’agriculture : « la Guinée est un pays minier et l’agriculture demeure une priorité nationale », déclare Mohamed L. Doumbouya. En 2016, le pays annonce « la plus forte croissance de son histoire (+5,2%), la confiance est revenue et notre monnaie est stable » explique le ministre. Plusieurs priorités ont été définies : « l’élargissement et la sécurisation de l’assiette fiscale, la qualification des dépenses publiques, l’optimisation de la trésorerie et la réforme des finances publiques. »
Un plan national post-Ebola a été déployé et les finances publiques se sont améliorées. Le déficit budgétaire qui représentait 8,9 % du PIB en 2015, a été ramené à 1,3 % l’année dernière. Les recettes publiques sont passées de 17,2 % en 2015 à 19,2 % du PIB en 2016. « Cette amélioration est le fruit des mesures adoptées pour mieux mobiliser les recettes intérieures, conjuguées à une réduction des dépenses publiques », selon la Banque mondiale. Le déficit a diminué pour se situer à 0,2% en 2017. De son côté, la Direction nationale des impôts a enregistré un taux de recouvrement des recettes en hausse de 102% en 2016 et les prévisions 2017, fixées par la loi de finances prévoient un accroissement de 25% par rapport à l’année dernière.
Cependant, malgré des résultats encourageants, la dépréciation du franc guinéen et la hausse des prix génèrent encore un taux d’inflation élevé de l’ordre de 9,7 % en 2017. Le secteur tertiaire est à la traîne tandis que les technologies numériques se déclinent désormais à la fiscalité guinéenne.
Le professeur face à «l’éducation fiscale»
Au niveau national, où le secteur informel est estimé à 67% de la valeur ajoutée globale du PIB, Mohamed Lamine Doumbouya cherche à faire accepter l’impôt en Guinée. Avec 70% des habitants âgés de moins de 35 ans, il mise sur la formation : « Nous sommes en phase avec le thème du « dividende» démographique, mis à l’honneur cette année par l’Union Africaine ». S’appuyant sur les technologies numériques, il cherche à atteindre la jeunesse. De fait, le ministre intègre les TIC dans tous les secteurs d’activité comme en témoigne la récente commercialisation des vignettes automobiles, payables via Orange Money depuis le 29 mars 2017. M.L. Doumbouya veut développer le mobile-banking en Guinée pour décourager les fraudeurs tout en assurant davantage de « transparence » : « L’année dernière, 360.000 vignettes ont rapporté 10 milliards de francs guinéens au Trésor contre 9 milliards cette année pour seulement 45.000 vignettes : cela donne une idée du niveau de fraude ! » Par ailleurs, les paiements en espèces, autrefois versés directement dans les centres des impôts, sont désormais déposés dans les agences de la United Bank of Africa (UBA), dans un souci de « sécurisation de la taxe unique sur les véhicules (TUV) ». Le ministre explique qu’il est nécessaire que « le budget soit retraçable ».
Afin « d’éduquer » les populations à la fiscalité, l’ancien professeur mise également sur la proximité. C’est sur son compte Twitter qu’il explique comment s’acquitter de la TUV. Il s’appuie sur les langues locales pour diffuser sa politique budgétaire: « Nous voulons que la population dans son ensemble, intègre le bien-fondé de ces « best-practices ». L’objectif est de rendre l’impôt acceptable, d’une part pour l’administration fiscale, et d’autre part pour les consommateurs». Citant l’économiste Arthur Laffer : « Trop d’impôt tue l’impôt», il reconnaît néanmoins que celui-ci reste largement « surévalué en Guinée avec un taux de 18% contre une moyenne régionale qui se situe autour de 14% ».
Transparence et premier scandale
En lutte contre les rétro-commissions et engagé dans de vastes réformes structurelles, le ministre est en passe de transformer en profondeur son administration. L’accent est porté sur la restructuration de la Direction nationale des impôts, la catégorisation des services douaniers et l’informatisation des données. « La dématérialisation des procédures de dédouanement permet de retracer les points de passage et les paiements, dans une plus grande transparence » explique t-il.
Certains secteurs-clés font l’objet d’un renforcement des contrôles avec un pouvoir de coercition augmenté dans le secteur des mines et de l’agriculture en particulier. Afin de conforter sa politique budgétaire, Mohamed Doumbouya estime que l’exemplarité doit s’affirmer à tous les niveaux de la société. Aussi, s’agissant du procès de l’ancien ministre des mines Mahmoud Thiam, condamné le 4 mai 2017 aux Etats-Unis pour le blanchiment de 8,5 millions de dollars perçus entre 2009 et 2010, il déclare : « Cette affaire nous encourage à poursuivre nos efforts, à tous les niveaux.»
Toutefois, dans sa lutte contre la fraude généralisée, Mohamed Doumbouya n’est pas à l’abri des scandales, comme en témoigne l’affaire liée à l’achat de 5 véhicules tout terrain pour la Direction nationale des impôts à SOGIPS SARL pour un montant de 5 milliards de francs guinéens : « Cette histoire remonte à novembre mais elle sortie il y a quelques semaines seulement. Cela ressemble fort à une manipulation. Les réformes engagées ne plaisent pas à tout le monde et ce type de dossiers sert à stopper notre élan. Je défie quiconque de m’impliquer dans cette affaire. Dès que je me suis aperçu de cette surévaluation, j’ai moi-même tout stoppé ! D’ailleurs, il s’agissait d’un projet et l’argent de l’Etat n’a pas été engagé… »
L’opération « mains propres » dans laquelle s’est lancé Mohamed Lamine Doumbouya résistera t-elle aux arcanes du secteur informel guinéen ?
La Tribune Afrique