Ce jeudi 17 décembre 2020, le Président Alpha Condé a, au cours du Conseil des ministres, mis l’accent sur les lacunes de la nomenclature budgétaire qui selon lui, ne tient pas compte des urgences et des besoins du développement. Pour Dr Makanéra Kaké, enseignant chercheur, la remarque du Chef de l’Etat est opportune et intervient au moment où des réformes sérieuses s’imposent dans ce domaine. « En fait, le budget moderne est un budget de développement. C’est un moyen pour assurer le développement économique et social. Pour cela, il faudrait que le budget puisse agir sur les secteurs porteurs de croissance. Alors comme le budget est au service du développement économique et social, il s’agit de voir quels sont les secteurs que le pays veut développer. Ainsi, la dépense publique et la dépense fiscale doivent être l’instrument pour assurer cela. C’est pourquoi les analystes budgétaires mettent l’accent sur deux points : d’abord, la préoccupation de la population dans le budget. A ce niveau, il s’agit de voir si la préoccupation de la population est prise en compte par le budget. Autrement dit, est-ce que le budget agit directement sur elle, a l’impact direct sur les besoins exprimés par la population ?Enfin, est-ce que ce budget permet de stimuler les secteurs économiques déterminés ? », explique-t-il.
Secteur agricole, vecteur de développement socio-économique, mais quasi ignoré dans le budget
« Depuis l’indépendance, tous les gouvernements sont d’accord que l’agriculture est le secteur prioritaire, mais cela ne se traduit pas dans le budget. Et c’est ce que le Président veut dénoncer. C’est comme je vous dis par exemple que vous allez manger jusqu’à votre faim, et je vous sers des assiettes vides. C’est contradictoire. Après l’agriculture, quel autre secteur avons-nous ? On dit que c’est les mines. Selon la vision de Sékou Touré, le secteur agricole et le secteur industriel devraient être financés par le secteur minier. Quand vous regardez encore le budget et la contribution du secteur minier, vous êtes déçu. Pour 2021, l’impôt sur les sociétés minières contribue à 1.4% dans le budget. Donc finalement quand on regarde l’architecture budgétaire, on n’a pas d’effet direct sur le développement. L’essentiel de notre budget depuis longtemps, les 70 % sont consacrés aux besoins de consommation. C’est-à-dire c’est le fonctionnement et le transfert. C’est pourquoi à peine, on trouve 30% du budget consacrés à l’investissement. Avant ça tournait autour de 8% », précise Dr Kaké qui soutient que « si le Président dit aujourd’hui qu’il faut revoir la nomenclature budgétaire, je dirai qu’il faut sérieusement la revoir parce qu’on a beaucoup d’argent dans le budget, mais qui ne sert pas à grand-chose. Prenez les ministères chargés d’impulser le développement et les ministères qui recouvrent l’argent. Je prends les finances et le budget par exemple. Le budget du ministère des finances et celui du budget, pris individuellement, dépasse de loin le budget du ministère de la communication, qui a comme mission de couvrir le territoire national en termes de communication, télé et radio par exemple. Et maintenant, le gardien de l’argent est autant, sinon plus riche que celui qui doit travailler ».
Une révision budgétaire est indispensable, sinon que de gâchis des fonds publics !
« Il faut essayer de revoir. Et si vous regardez la nomenclature du budget, vous allez vous rendre compte que les dépenses en matériels sont pratiquement égales aux dépenses de fonctionnement. Cela veut dire que si l’Etat engage 30% du budget pour le salaire de tous les fonctionnaires, l’Etat dépense également 30% pour l’achat de biens et services. Là on ne peut pas comprendre. Le pire, lorsque vous regardez la partie consacrée à l’achat des biens et services, notre comptabilité de budget classe les dépenses des biens matériels amortissables pour une année. Cela veut dire normalement que si on te remet une voiture 4×4, tu peux amortir une année après. Ça devient valeur comptable 00. C’est pourquoi chaque année, les services ont les mêmes montants pour renouveler les bureaux, renouveler les tapis. C’est comme si une table ou un ordinateur a pour durée une année alors que vous pouvez les utiliser pour plusieurs années durant. Mais sur le plan budgétaire, on vous paie trois ou quatre fois la même table alors que vous ne l’avez pas changée. »
Selon Dr A. Makanéra Kaké, on a besoin aujourd’hui de réformer le budget dont nous disposons. « C’est un budget dont la nomenclature est héritée du temps Conté, au début des programmes d’ajustement structurel où l’augmentation des dépenses se fait, pas par rapport aux réalités nationales, mais sur un pourcentage qu’on a fixé à 20%. Ce chiffre 20% est un chiffre mystique, qui ne correspond à rien. Par contre, le budget est élaboré en fonction de l’évaluation directe au niveau des dépenses et l’évaluation directe au niveau des recettes », conclut l’enseignant chercheur.
Gassime Fofana