Exclusif : « le projet Simandou représente un défi majeur pour la Guinée, mais aussi une opportunité précieuse »

Depuis plusieurs années maintenant, les autorités successives de Guinée s’échinent à améliorer les conditions de vie des Guinéens. Des initiatives sont prises ça et là mais avec un faible impact sur l’essor du pays et la félicité de ses habitants.  C’est  dans ce contexte économique morose que les autorités de la transition guinéenne ont décidé de lancer et de promouvoir le gigantesque projet Simandou. Un programme promoteur mais dont la mise en œuvre doit se faire  dans le strict respect des normes de protection de l’environnement, de la lutte contre la corruption et les détournements de fonds publics. Toute chose qui pourra contribuer à améliorer les conditions de vie des Guinéens et à  renforcer davantage les relations de coopération entre la Guinée et ses partenaires. Dans la dernière partie de cette grande interview exclusive,  BILIVOGUI Pierre, doctorant en Finance, à l’Université d’Economie et de Droit de Zhongnan, en Chine, porte son regard sur le projet Simandou ainsi que sur ses implications pour les Guinéens et pour les autres acteurs en charge de sa réalisation. 

IV.           La Guinée souffre de crises d’infrastructures : Comment faire du projet Simandou un tremplin pour le développement durable des infrastructures socioéconomiques de base ?  

La Guinée, à l’instar de nombreux pays en développement, souffre de crises d’infrastructures qui freinent son potentiel de croissance. Ces lacunes touchent particulièrement les secteurs de l’énergie, des transports, de l’eau potable et des infrastructures sanitaires. Le projet Simandou, l’un des plus grands projets miniers du pays, peut jouer un rôle clé dans la transformation de ces infrastructures de base, à condition qu’il soit bien géré. Je répète : « Si bien géré ». Dans cette partie, je vais évoquer des principes et des exemples concrets de pays ayant réussi à lier projets miniers et développement des infrastructures.

(1)  Le lien entre le projet Simandou et le développement des infrastructures

En raison de son ampleur, Simandou nécessitera la construction et la mise à niveau de nombreuses infrastructures, telles que des routes, des lignes ferroviaires, des ports et des installations énergétiques. Bien que l’objectif principal du projet soit l’exploitation du minerai de fer, il offre une occasion unique de moderniser durablement les infrastructures du pays. Par exemple, la construction de plus de 600 km de voies ferrées et d’installations portuaires sur l’estuaire de la rivière Morébayah, près de Senguelen dans la préfecture de Forécariah, pour transporter le minerai de fer, pourrait, à long terme, non seulement favoriser le commerce régional, mais aussi améliorer le transport pour les agriculteurs locaux et les entreprises manufacturières guinéennes. Cela ouvrirait des possibilités d’exportation pour d’autres produits et stimulerait ainsi divers secteurs économiques du pays.

(2)   Infrastructure énergétique : un levier pour la croissance

Le secteur de l’énergie est crucial pour le développement économique et le projet Simandou pourrait constituer une opportunité rare pour développer des solutions énergétiques durables. Par exemple, pour soutenir l’exploitation du gisement, l’entreprise devra construire des centrales électriques. Ces infrastructures pourraient non seulement alimenter les activités minières, mais aussi desservir les communautés locales et contribuer à l’amélioration de l’approvisionnement en électricité pour le reste du pays. Prenons l’exemple de l’Afrique du Sud, où des projets miniers ont été associés à des initiatives énergétiques, telles que la centrale à charbon de Medupi. Un modèle similaire pourrait être envisagé en Guinée, en investissant dans l’énergie solaire ou hydroélectrique, en partenariat avec les entreprises minières impliquées dans Simandou. Des entreprises comme WCS (Winning Consortium Simandou), associées à des groupes comme UMS Guinée, le groupe singapourien Winning International et China Hongqiao Group, pourraient contribuer à fournir une énergie plus propre et durable pour le pays.

(3)   Développement des infrastructures sociales : Santé, Éducation et Logement

Les grandes entreprises minières, comme celles du secteur pétrolier, sont souvent appelées à investir dans les infrastructures sociales locales afin de soutenir le développement des régions où elles opèrent. Dans le cadre de Simandou, la Guinée pourrait négocier avec les entreprises impliquées pour qu’elles contribuent à la construction d’hôpitaux, d’écoles et de logements sociaux pour les travailleurs, tout en mettant en place des programmes de formation professionnelle adaptés aux besoins du marché local. En Australie, par exemple, le projet minier de Carmichael a suscité des critiques pour ses faibles contributions à la communauté locale, mais il a également ouvert la voie à des débats sur les obligations des multinationales envers les infrastructures sociales. La Guinée pourrait tirer parti de ces expériences pour mieux négocier avec les partenaires de Simandou et éviter les erreurs des précédents projets d’envergure.

(4)   Gestion des ressources naturelles et respect de l’environnement

Une autre dimension essentielle pour réussir le développement des infrastructures liées à Simandou est la gestion de l’impact environnemental. Une exploitation minière mal régulée, comme cela a été le cas pour d’autres gisements en Guinée, peut entraîner des conséquences dévastatrices sur l’environnement. Le gouvernement guinéen doit mettre en place des mécanismes rigoureux pour garantir que les projets d’infrastructures associés à Simandou respectent des normes environnementales strictes, comme celles définies par la Société Financière Internationale (SFI), qui encadrent la gestion de la santé, de la sécurité, de l’environnement et des questions communautaires. Ces normes doivent être respectées pour assurer le soutien des investisseurs et garantir la durabilité des projets. L’incident de la rupture du barrage minier de Brumadinho, au Brésil, en 2019, constitue un avertissement majeur. Une telle catastrophe pourrait être évitée en adoptant des technologies de pointe et en appliquant des normes environnementales internationales strictes, comme celles mises en œuvre dans des projets similaires en Australie et au Canada, pour préserver à la fois l’environnement et le bien-être des Guinéens.     

  V.    Quelles sont les exigences liées à la mobilisation et à la gestion rationnelle des ressources internes d’un pays ?  

La gestion rationnelle des ressources internes d’un pays est essentielle pour garantir une croissance économique durable et un développement à long terme. En Guinée, les ressources naturelles, notamment les mines de fer, de bauxite et d’or, jouent un rôle central dans l’économie. Cependant, elles ne sont pas toujours gérées de manière optimale. En parallèle, la gestion des ressources humaines, telles que la main-d’œuvre et les compétences, ainsi que des ressources financières et infrastructurelles, nécessite également des réformes. Pour ma part, ci-joint quelques principales exigences à prendre en compte pour une gestion efficace de ces ressources.

(1)   La gouvernance et la transparence

L’une des exigences fondamentales pour la gestion des ressources internes est la gouvernance. Les ressources naturelles doivent être gérées de manière transparente, avec des mécanismes de contrôle stricts pour éviter tout détournement ou mauvaise gestion des revenus. Il est crucial que le gouvernement guinéen mette en place des structures solides pour superviser l’exploitation des ressources naturelles et garantir que les bénéfices profitent réellement à la population. Cela inclut la mise en place d’une comptabilité claire des revenus provenant des industries extractives, ainsi que la publication régulière des contrats miniers et des recettes générées. L’accès aux informations sur ces contrats est souvent restreint en Guinée, alors que, dans d’autres pays, la publication des contrats miniers est obligatoire pour assurer une transparence totale. Je salue l’Initiative pour la Transparence des Industries Extractives (ITIE) adoptée par la Guinée en 2018, qui a permis d’améliorer la transparence dans la gestion des ressources minières. Toutefois, bien que des progrès aient été réalisés, des efforts supplémentaires sont nécessaires pour garantir que les ressources naturelles soient gérées de manière optimale.

(2)   L’utilisation des recettes pour financer le développement

Les recettes générées par l’exploitation des ressources naturelles, humaines, financières et infrastructurelles doivent être investies dans des projets à long terme pour soutenir le développement du pays. Cela inclut des investissements dans des secteurs stratégiques tels que l’éducation, la santé, les infrastructures, ainsi que dans la réduction de la pauvreté. Une gestion prudente des recettes permettrait à la Guinée d’éviter les pièges classiques de l’économie des ressources, qui peuvent entraîner des fluctuations économiques et une dépendance excessive aux exportations de matières premières. Un exemple de bonne gestion des ressources est le Fonds Souverain de Norvège, qui a été conçu pour investir les recettes générées par les ressources pétrolières du pays dans des actifs internationaux et pour financer des projets de développement durable. Ce modèle pourrait être adapté à la Guinée, afin de diversifier ses sources de revenus et réduire sa dépendance vis-à-vis des exportations de minerais.

(3)   Le renforcement des capacités locales

Une autre exigence cruciale pour la gestion efficace des ressources internes est le renforcement des capacités locales. La Guinée doit développer ses compétences humaines afin de mieux gérer et exploiter ses ressources naturelles de manière autonome. Cela passe par la formation des jeunes guinéens dans des domaines clés tels que l’ingénierie, la gestion des ressources naturelles et la gestion de projets. Il est également essentiel que les programmes universitaires guinéens s’adaptent aux évolutions du marché du travail et aux changements sociaux. Les formations doivent être en phase avec les besoins des secteurs stratégiques, notamment dans l’industrie minière, l’énergie, l’agriculture et les infrastructures. Cela permettrait de garantir que la main-d’œuvre locale soit suffisamment qualifiée pour occuper des postes clés dans l’exploitation et la gestion des ressources, réduisant ainsi la dépendance à l’expertise étrangère.   

VI.           Ce projet Simandou est le fruit d’une coopération internationale. Quelle est votre appréciation sur la coopération Nord-Sud et Sud-Sud, et comment faire en sorte que Simandou soit un projet de « gagnant-gagnant » pour toutes les parties prenantes, en particulier la Guinée ?  

Le projet Simandou est effectivement le résultat d’une coopération internationale, impliquant des partenariats étrangers et le gouvernement guinéen. Il représente également une occasion unique pour la Guinée de renforcer ses relations avec d’autres pays du Sud, notamment à travers la coopération Sud-Sud. L’enjeu est de garantir que ce projet soit véritablement bénéfique pour toutes les parties prenantes, et surtout pour la Guinée. Pour ce qui est de l’appréciation sur la coopération Nord-Sud et Sud-Sud, je tiens à souligner qu’il ne s’agit pas de dire qu’une forme de coopération est meilleure que l’autre, mais plutôt de la façon dont les accords sont négociés et, surtout, de la manière dont les clauses de ces accords sont appliquées. Il est essentiel que les conditions de ces accords soient justes et équilibrées pour éviter toute exploitation.

(1)   La coopération Nord-Sud : enjeux et défis

La coopération Nord-Sud a souvent été marquée par des déséquilibres où les pays du Nord, représentés par les multinationales et les investisseurs étrangers, bénéficient principalement des retombées économiques, tandis que les pays du Sud, comme la Guinée, restent dépendants des recettes des matières premières. Ce déséquilibre a conduit à des situations où les ressources naturelles des pays du Sud étaient exploitées au détriment des bénéfices locaux. Dans le cas du projet Simandou, il est primordial que la Guinée négocie des conditions favorables qui lui permettront de maximiser les bénéfices à long terme. Le gouvernement guinéen devrait renforcer son cadre législatif minier pour garantir des contrats transparents et équitables, et mettre en place des mécanismes de suivi rigoureux pour s’assurer que les entreprises respectent leurs engagements. Cela inclut la mise en place de sanctions en cas de non-respect des obligations contractuelles. L’exemple du projet minier de Marampa en Sierra Leone, qui a été critiqué pour son absence de bénéfices réels pour les communautés locales, illustre parfaitement les risques d’une mauvaise gestion. Il est donc crucial de tirer des leçons de ces expériences pour éviter que Simandou ne devienne un autre cas d’exploitation néocoloniale. Une approche transparente, sans dessous de table ni compromis sur l’intégrité, est essentielle pour que ce projet soit réellement bénéfique pour la Guinée.

(2)   La coopération Sud-Sud : renforcer les liens avec les pays du Sud

En parallèle, Simandou offre une opportunité unique de renforcer les liens économiques entre les pays du Sud, notamment les pays africains. La Guinée, en collaborant avec ses voisins et d’autres pays du continent, peut créer des chaînes de valeur régionales qui profitent à l’ensemble de l’Afrique. Par exemple, l’utilisation d’infrastructures transfrontalières, telles que les chemins de fer reliant la Guinée au Liberia, peut favoriser l’intégration régionale et stimuler une économie durable à long terme. De telles infrastructures permettent non seulement de renforcer l’intégration économique, mais aussi de réduire la dépendance aux routes commerciales traditionnelles, tout en ouvrant la voie à des échanges plus fluides et à la création d’emplois. Le projet de la Transsaharienne, qui relie plusieurs pays africains de l’Ouest à l’Est, est un autre exemple de coopération Sud-Sud réussie, qui montre comment des initiatives transnationales peuvent être bénéfiques pour tous les pays impliqués. La Guinée pourrait s’inspirer de ce modèle pour développer davantage de partenariats avec ses voisins, favorisant ainsi l’émergence d’une économie régionale forte et soutenable. En conclusion, le projet Simandou représente un défi majeur pour la Guinée, mais aussi une opportunité précieuse. Pour qu’il soit véritablement un projet de « gagnant-gagnant », il est essentiel que la Guinée prenne les mesures nécessaires pour protéger ses intérêts, en négociant des accords équitables et transparents, en renforçant ses capacités législatives et en exploitant les synergies possibles au sein de la coopération Sud-Sud. Ce projet ne doit pas seulement profiter aux multinationales, mais aussi aux populations locales et à l’économie nationale, et c’est à travers une gouvernance rigoureuse et des partenariats stratégiques que cela sera possible. Je vous remercie de l’opportunité que vous m’avez donnée de partager ces idées et réflexions sur la gestion du projet Simandou. J’espère que ces recommandations seront prises en compte, et que la Guinée pourra tirer pleinement parti des opportunités que ce projet offre. Que le Bon Dieu bénisse notre pays, car nous savons tous que les ressources minières, tout en étant une source de richesse, suscitent également de fortes convoitises.

Réalisée par Gassime Fofana

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