L’heure est grave !!! Dans des précédents articles sur la politique guinéenne, je m’étais insurgé contre ces récurrents pseudos accords politiques, par lesquels le pouvoir et l’opposition s’entendent pour violer nos textes de loi. Les intellectuels, hommes de droit et autres universitaires guinéens ont fermé les yeux sur les conséquences néfastes à long terme qui pourraient en résulter. On a une Constitution qui ne sert plus ou presque à rien, car elle est piétinée, bafouée, et c’est pareil pour nos différents codes et dont les conséquences commencent à se répercuter sur la population. L’ethnocentrisme, qui s’est accentué depuis une dizaine d’années, s’est banalisé. Tout le monde se donne à cœur joie : politiques, « coordinations régionales », religieux, réseaux sociaux…
Les germes ethniques
Je ne vais pas m’attarder sur l’histoire déjà controversée de la Guinée depuis l’indépendance. Je vais me borner à énumérer des faits et déclarations qui ont généré les germes de la division dans le pays. Parmi ces faits, on peut citer ce que l’on a appelé LE COMPLOT PEUL. Cette histoire inventée de toutes pièces durant la mandature du président Sékou Touré, a servie d’alibi pour exécuter bon nombre d’intellectuels de cette communauté. L’affaire WO FATTAARA (Vous avez bien fait en Sosso) a été la conséquence de la vengeance dont a été victime la communauté malinké en représailles au coup d’Etat manqué de Diarra TRAORE en 1985. On a assisté à l’exécution au pied du mont Kakoulima de plusieurs dizaines d’officiers malinkés sous le règne du président Conté, et bien d’autres cas non évoqués.
Légalité et légitimité
Le constat est que durant toute cette période, les Guinéens ont, malgré ces plaies non encore pansées, réussi à passer à autre chose et à se pardonner. Mais depuis l’arrivée au pouvoir du Koro Professeur El Hadj CONDE, on assiste à une résurgence d’un discours ethnique décomplexé. Tout a commencé au lendemain de son élection en 2010 non digérée par les partisans de KOTO CELLOU majoritairement peuls. S’ils estiment que le Président Condé est légalement élu au regard des lois du pays, ils pensent au contraire que ce dernier est quand même illégitime du fait des soubresauts et de l’imbroglio électoral qui ont pourri l’entre-deux tours de la présidentielle. Depuis cette période, les Guinéens ont succombé aux sirènes divisionnistes mettant en lumière la haine que les uns ont envers les autres.
Les discours politiques clivants
Le poisson pourri par la tête, dit le dicton. Le malheur de la Guinée est que les discours de haine et de la division viennent des hautes autorités. A titre illustratif, on peut évoquer celui du PRAC au lendemain de son élection où il a régionalisé le partage du pouvoir comme suit :
la Présidence aux malinkés (dont il se réclame),
la Primature aux soussous (sa famille maternelle),
le Parlement aux forestiers.
Vient ensuite, cet extrait du discours qu’il a prononcé le samedi 09 mai 2015 à Kankan, où il a déclaré : « …Si vous avez accepté le gouverneur Nawa Damey, c’est parce que la Guinée appartient aux malinkés, aux forestiers et aux soussous… ». De quoi provoquer l’émoi chez tous les Guinéens épris de paix. Un tel discours venant de la première personnalité du pays est tout sauf rassembleur. Récemment il s’est encore illustré en injuriant tous les cadres malinkés provoquant sur ce coup une indignation nationale mais une indignation plus marquée en Haute Guinée.
On peut ajouter les différentes tueries qui ont jalonné sa mandature et pour lesquelles le gouvernement n’a émis aucune compassion, aucune solidarité à l’endroit des familles des victimes. Pire, en toute impunité : les massacres de Zogota, les victimes lors des manifestations de l’opposition…
L’opposant Koto Cellou Dalein traîne à tort ou à raison une étiquette de leader communautaire qui ne fait pas assez pour fédérer autour de lui les autres ethnies. Chacun se fera son opinion.
Les coordinations régionales et les religieux
J’ai longtemps combattu les coordinations régionales. Je leur reproche d’avoir largement outrepassé leurs domaines de compétence en s’immisçant dans le jeu politique. Pour des questions d’alliances politiques post élections communales, la Coordination de la Basse Côte s’est fissurée.
D’un côté, il y a le très controversé et inconstant ALAYI SEKHOUNA SOUMAH qui a les faveurs du gouvernement, et de l’autre, ALAYI SOUMAH, un dissident, qui devrait légalement être le vrai Kountigui. ALAYI SEKHOUNAH s’est à maintes reprises illustré par ses discours et ses propos divisionnistes mettant en péril une unité nationale déjà éprouvée.
La coordination du Fouta, elle, s’est fait remarquer
après les dizaines de morts lors des manifestations de l’opposition, estimant que toutes les victimes sont peules. Elle s’est érigée en protectrice de la communauté peule faisant ainsi un pied de nez au gouvernement qui a normalement le pouvoir régalien.
La coordination de la Haute Guinée aussi se borne à faire des déclarations tendancieuses, voulant protéger uniquement les malinkés tout en oubliant les autres.
On a assisté aussi à une scène de théâtre de la communauté Kissi venue apporter son soutien à un ministre déchu du gouvernement d’une part, et de l’autre, l’inciter à refuser un nouveau portefeuille ministériel jugé peu lucratif (sic) !
Comme si tout cela ne suffisait pas, ce sont des soi-disant religieux qui se sont laissé emporter par le virus de la division. A mon humble avis, ils n’ont rien compris des religions. Un imam qui s’oppose à ce qu’un élu soit installé dans ses fonctions, c’est inédit ! Je rappelle qu’il y a eu des antécédents avec ce même imam qui, semble-t-il, a été l’un des nombreux habitants de Kindia à s’insurger contre le débarquement du gouvernement du ministre Oyé Guilavogui. Un autre imam fait des siennes au Fouta en appelant clairement à la confrontation. Je peux vous assurer qu’à côté de la fierté d’avoir Mgr Robert SARAH comme cardinal du côté du Vatican, je regrette le fait qu’il ne réside plus en Guinée. Il a toujours prôné l’unité nationale, il a l’aura d’un sage réfléchi. Il formait avec l’imam El hadj Saliou CAMARA un tandem, une autorité morale respectée. Sauf que, actuellement, l’imam de la grande mosquée est impuissant face à la dépravation des mœurs, et Mgr Vincent KOULIBALY, lui, est en retrait de la politique (à juste raison d’ailleurs).
Les réseaux sociaux
« Les réseaux sociaux ont donné le droit de parole à des légions d’imbéciles qui, avant, ne parlaient qu’au bar, après un verre de vin et ne causaient aucun tort à la collectivité. On les faisait taire tout de suite alors qu’aujourd’hui, ils ont le même droit de parole qu’un prix Nobel. C’est l’invasion des imbéciles », disait Umberto ECO. C’est peu de le dire. Il suffit de faire un tour sur les différents réseaux sociaux (Facebook, Twitter, WhatsApp…) pour se rendre compte à quel point la haine a atteint des proportions insoutenables en Guinée. On a tendance à croire, à la vue de certains commentaires, que le pays va sombrer dans la guerre civile. Des communicants des deux formations politiques (RPG et UFDG) ont jeté le pavé dans la mare au point que la justice a fini par se bouger. Certains anonymes se permettent d’échanger des invectives à caractère ethnique juste pour semer la division. Si dans les autres pays les réseaux sociaux sont utilisés pour communiquer, créer des projets et participer au développement, en Guinée,ils sont hélas utilisés pour véhiculer la haine. Dans les groupes crées pour échanger comme GUINEE TRIBUNE ou encore LE PEUPLE DE GUINEE D’ABORD, les publications politiques sont commentées sur la base ethnique et sur des appels à la violence.
Se parler et se pardonner
Vu le niveau qu’a atteint l’ethnocentrisme en Guinée, je ne suis ni fataliste ni pessimiste mais il serait malhonnête de ne pas tirer la sonnette d’alarme. L’épisode du Maire de Kindia montre à suffisance que le tissu social est en lambeaux. Et le plus drôle dans cette affaire est la contradiction des habitants de la localité : ils élisent un Maire et s’opposent à son installation. En droit international, le principe d’Estoppel se veut que l’on ne doive pas vouloir d’une chose et de son contraire. Le grand malheur de ce pays est qu’à un moment donné, toutes les communautés ont été victimes et coupables à la fois. Je ne vais pas revenir sur tous les scandales ethniques qui ont émaillé ce pays depuis l’indépendance. Il est primordial de s’asseoir autour de la table et se parler, situer les responsabilités et se pardonner. Je ne parlerai pas de réconciliation nationale car cette notion est plus adaptée aux pays qui sortent d’une guerre, or, la Guinée ne l’a jamais été. Quelques pistes pourraient solutionner ce problème ethnique, si jamais on arrive à les suivre:
La volonté politique : de nombreux problèmes ethniques découlent directement ou indirectement des politiques. Ils exacerbent les tensions ethniques à des fins électoralistes. Mais une fois au pouvoir, avec une réelle volonté ils peuvent œuvrer à la cohésion sociale, au vivre ensemble,
Le bipartisme : cette hypothèse revient souvent dans les milieux intellectuels. La Guinée peut s’inspirer du Nigeria pour mettre en place le bipartisme tout en instaurant le système de TICKET (Président et vice-président). Outre le bipartisme il faudra instaurer une présidence tournante qui prend en compte les quatre régions naturelles. Cette solution aura le mérite de calmer tout le monde.
La dissolution des coordinations régionales : Dans mes précédents articles, je me suis insurgé contre ces coordinations, elles n’ont aucune assise juridique, elles n’ont pas de compétences définies et la conséquence est qu’elles s’immiscent dans la politique et font le jeu des politiques jusqu’à diviser le pays. Les dissoudre serait d’un grand apport à l’unité nationale.
La fédération : cette dernière solution est utopique vous me direz. Certes, mais si on arrive plus à vivre ensemble, une séparation peut contenter tout le monde. Chacune des régions naturelles constituera un Etat fédéré avec une autonomie qui sera à déterminer, un gouvernement, un pouvoir législatif, au sein de l’Etat fédéral. Le problème est que cette solution va sonner le glas de l’unité nationale, car elle va découler de la lutte contre l’intolérance.
BAH HAMIDOU,
Chargé de la commande Publique
Consultant international
Spécialiste en Géopolitique