Alhousseiny Makanéra Kaké : « personne ne sait comment sera la Guinée en 2020»

Alhousseiny Makanéra  Kaké est président du Front National pour le Développement (FND), ancien ministre de la Communication d’Alpha Condé et aujourd’hui porte-parole de l’opposition dite Républicaine.  Dans cette interview au declic.info, il parle de la CENI, de la gouvernance actuelle en Guinée et se projette dans l’avenir du pays. Le ton est amer et les mots parfois durs ! 

Bonjour Monsieur Kaké

Bonjour

La CENI était jusqu’ici engluée dans des querelles de leadership alors qu’elle ne parvient toujours pas à tenir les élections locales. Certains pensent que l’échec de l’institution est un échec collectif.  Qu’en pensez-vous ?

C’est une question de volonté politique au niveau de l’exécutif qui a tout fait pour dénaturer le sens même et biaiser l’objectif de la création de la CENI. La CENI a été créée pourquoi ? C’était juste pour garantir la transparence des élections dans la mesure où les acteurs politiques ne se faisaient pas confiance. Mais au fur et à mesure qu’on avance, nous avons compris que cette indépendance est tellement relative en ce sens que le principe voudrait que la main qui est en haut soit toujours celle qui commande. Pourquoi ? Parce que la CENI reçoit son budget de fonctionnement de l’exécutif. Tant que l’exécutif ne décide pas, rien ne peut se passer. Comment on peut alors parler de transparence ? Dans un pays normal, lorsqu’on vote le budget des élections, ce budget est déjà mis à disposition et la CENI ne doit pas le gérer de façon opaque; parce qu’il faut faire la différence entre le budget de fonctionnement de la CENI et celui des élections. Mais si on donne la possibilité au président lui seul de décider qui doit recevoir le budget,  on a déjà biaisé, parce qu’il n’y a plus d’indépendance. Donc le problème c’est là-bas. C’est pourquoi j’estime, pour ma part, qu’aujourd’hui, pour qu’on ait une CENI efficace, il faut d’abord qu’elle soit technique, ensuite séparer le budget de fonctionnement de l’institution du budget des élections. Si demain on doit organiser les élections, il faudrait que la CENI commande la logistique,  les enveloppes, les bulletins de vote et qu’on les mette à sa disposition.  Aussi, tant qu’on ne sépare pas l’argent et la CENI, on ira d’échec en échec.  Imaginez quelqu’un qui a un revenu de moins de 2 à 3 millions par mois, qui se retrouve au sein de cette CENI et que le président est prêt à leur donner des centaines de milliards, il ne va plus écouter le parti qui l’a envoyé à la CENI ;  il n’écoutera que le président qui est capable de mettre à sa disposition un budget aussi important. Mais finalement, si on continue comme ça, nous-mêmes, nous institutionnalisons la corruption.

Ledeclic.info : Organiser les élections en Guinée notamment les communales est aujourd’hui le souhait des Guinéens. Avec le retour de la CENI au comité de suivi des accords politiques de 2016, pensez-vous que cela va contribuer à organiser le plus rapidement possible ces élections ?

Nous estimons tout d’abord que cette crise a été entretenue inutilement. Parce que le président de la République, c’est lui qui assure le fonctionnement normal et régulier des institutions. S’il l’avait voulu, la crise n’allait pas perdurer. Ensuite, c’est une question de gestion. Si réellement, le denier public était mieux géré, il n’y aurait même pas eu de crise à la CENI parce que ce qui oppose les commissaires c’est la gestion du budget. Mais lorsqu’on a évoqué ça, l’exécutif n’a pris aucune disposition. C’est donc  pour créer une confusion au sein de la CENI pour gagner du temps. C’est leur stratégie. Le président Alpha Condé a toujours utilisé la politique de fuite en avant. Sinon aujourd’hui, nous estimons que la CENI peut bel et bien organiser les élections locales avant la fin de l’année. D’ailleurs, elle était prête depuis décembre passé. Donc pour nous,  c’est une fausse crise qu’on a entretenue inutilement.

A côté de ces élections locales, l’affaire de troisième mandat défraie toujours la chronique en Guinée même si le Président ne s’est pas encore déclaré dans ce sens. Pour vous, c’est un débat qui a eu d’être ?

Le seul espoir qu’on caresse aujourd’hui, c’est la fin du mandat d’Alpha Condé. Mais là aussi, il crée l’ambigüité. Maintenant quand j’entends les gens dire non l’opposition marche pour ne pas que la Guinée se développe, je dis qu’ils se trompent. C’est plutôt l’ambigüité d’Alpha Condé qui fait que personne n’ose investir parce que personne n’est sûr du lendemain. Tout le monde sait que c’est deux mandats et tout le monde connait aujourd’hui que sa volonté pour le troisième mandat est un secret de polichinelle. Donc personne ne connait ce que sera la Guinée en 2020. C’est cela l’ennemi de développement de la Guinée aujourd’hui. Personne ne peut entreprendre quelque chose à long terme. Même la bauxite qu’on exploite à Boké, ne se passe dans des conditions idéales. On prend la terre seulement, on met dans les bateaux, on  envoie et personne ne connait la quantité, personne ne peut vous faire cette comptabilité. C’est une exploitation sauvage. Depuis que la Guinée est Guinée, c’est maintenant qu’on exploite de cette manière la bauxite du pays.

En clair, vous voulez dire qu’avec la gouvernance actuelle, les deniers publics sont mal gérés ?  

Il n’y a même pas une gestion en Guinée. Alpha Condé gère la Guinée comme un bien privé à lui. Moi, j’étais membre du gouvernement, je sais ce que je dis. E cela s’étend jusqu’à l’Assemblée nationale qui  vote d’abord le budget voulu par Alpha. C’est mécanique. Ensuite même ce qui est voté là-bas, il y a un comité de trésorerie qui décide de qui peut exécuter son budget.  Mais ça dépend de vos relations avec le président, en fonction de ses humeurs. Et même s’il y a des scandales, personne n’est inquiété malheureusement sauf ces pauvres présidents des délégations spéciales récemment de l’opposition. Ça aussi c’est de l’opposition. Sinon personne n’a été poursuivi, inquiété alors qu’on sait, en 2010, nous étions tous là, on connait le niveau de vie de chacun de ses collaborateurs directs à Sékoutoureyah et tout le monde sait dans quel état ils vivent en ce moment. On connait les biens de beaucoup de personnes ici. Les gens qui quémandaient 10 litres d’essence en 2010 sont aujourd’hui dans l’abondance. Ça c’est tellement évident. Et lui-même en tant que président de la République. Alors pourquoi on a des difficultés ? C’est parce que toutes les grandes entreprises ont leurs pieds à la présidence. Quand des personnes ont obtenu des marchés par la bénédiction du président de la République, qui va les contrôler ? Personne. D’ailleurs, l’administration n’existe plus parce que l’administration c’est la subordination. Il faut que le supérieur hiérarchique nomme ses subordonnés. Mais cela n’existe pas en Guinée. Aujourd’hui, vous pouvez voir un ministre qui ne commande même pas son planton.

Pourtant, certains estiment qu’Alpha Condé a trouvé la Guinée dans un état catastrophique, avec des infrastructures presqu’inexistantes et une gouvernance en déliquescence.   

 Mais lorsqu’on dit que professeur Alpha Condé a trouvé la Guinée dans un trou, moi je voudrais qu’on élève un peu le niveau du débat. C’est honteux pour quelqu’un aujourd’hui de défendre Alpha Condé. Parce que quand il a voulu parler du développement de la Guinée, il a d’abord dit qu’il est venu pour la démocratie, pour la liberté et pour les bonnes élections. Il a même dit de prendre les armes si les élections sont truquées. Mais depuis qu’il est là, il est incapable même d’organiser les élections locales. C’est un déboire, une honte. Je pense qu’il faut avoir les pieds sur terre. De toute l’histoire des présidents en Guinée, Alpha Condé est le dernier président. Et ce que je regrette, c’est le fait que souvent quand les gens posent les actes, on oublie très rapidement et même la presse n’en parle pas assez. Aujourd’hui, il faut comparer Alpha Condé à Sékouba Konaté qui, de surcroît, est un militaire. Sékouba n’avait pas été choisi par le peuple, mais quand il a dit qu’il ne s’accrocherait pas au pouvoir, qu’il allait organiser les élections, il a tenu. Alpha Condé a juré sur la constitution de respecter  et de faire respecter les lois, mais il ne respecte rien. Donc il est moins que Sékouba Konaté. Même sur le développement économique, ce Monsieur a fait reculer le pays, mais beaucoup. Nous ; au début, on le croyait parce qu’il nous a promis qu’on va aller au PPTE, c’est là le bonheur. Dans le domaine des mines, dans le domaine de la construction, des travaux publics et même dans le commerce. Mais aujourd’hui, on voit que tous ceux qui l’ont cru se sont trompés.

Par contre, beaucoup estiment que l’atteinte du PPTE constitue une grande victoire pour ce régime dans la mesure où l’initiative devrait permettre à la Guinée d’amorcer un développement rapide et durable.  Comment réagissez-vous?

Mais j’étais aussi naïf que beaucoup de ces personnes. Il n’y a pas quelqu’un qui a chanté le PPTE comme moi ; il n’y a pas quelqu’un qui a soutenu, défendu cette position comme moi. Mais aujourd’hui, vous-même vous pouvez constater qu’est-ce que le PPTE a donné aux Guinéens ? Je ne vois pas. Nous, nous avons estimé que, comme il a dit d’attacher la ceinture, lorsque nous arrivons au PPTE, c’était fini, on va non seulement nous laisser tout ce qu’on a, ils vont laisser notre dette, mais aussi on va être très riches et la Guinée va être un pays émergent.  Mais j’ai compris qu’on s’est battus, qu’on a attaché la ceinture pour faire profiter une vingtaine ou une trentaine de personnes. Les retombées du PPTE, c’est leur clan qui en bénéficie, pas le pays. C’est là-bas où le bât blesse. Regardez, toutes les routes sont défoncées, il n’y a pas de nids de poules mais des nids d’éléphants.  Partout, même dans la capitale, vous ne pouvez pas rouler aujourd’hui, le revenu a baissé. Ce qu’on avait l’habitude d’acheter avec 1.000.000 gnf,  on ne peut plus l’avoir aujourd’hui. Donc les gens se sont appauvris au lieu de s’enrichir. Et même les sociétés minières, les grandes sociétés qui étaient sur place sont toutes parties. On va dire ce n’est pas lui parce que les prix de matières premières ont baissé. Non pas du tout. C’est parce que, tout simplement quand Alpha Condé est venu, il a voulu régler ses comptes avec des sociétés minières qui selon lui, ne l’ont pas accompagné. C’est pour cela, il s’est engagé dans la révision du code minier.  

Aussi, quand il est arrivé au pouvoir, ceux qui étaient plus nantis et qui ont soutenu Dalein, cela est un secret de Polichinelle, il a décidé de les appauvrir. Ils ne gagnent pas le marché avec l’Etat.  Il a voulu réorienter le commerce, créer de nouveaux commerçants alors que le commerce, ce n’est pas seulement l’argent, il faut le talent, il faut des relations, il faut le savoir-faire. C’est finalement le pays qui devient pauvre. C’est pourquoi je dis qu’Alpha Condé est venu au pouvoir alors qu’il n’était pas préparé, n’avait pas réellement le sens de l’Etat. Et malheureusement, il s’est fait encadrer aussi par des apprentis. Voila sa conception de l’Etat, sa conception de la gouvernance et de la gestion des Finances de l’Etat. Cela ne développera jamais le pays.

Vous avez parlé de sociétés minières et de l’exploitation des mines en Guinée. Dans le souci d’accélérer le projet Simandou, le ministre des mines était, il ya quelques jours, en Chine. Aller vers les partenaires pour les convaincre, n’est-ce pas une bonne démarche ?

Ce n’est pas une bonne solution. Vous savez moi, je me méfie beaucoup quand un gouvernement comme le nôtre traite avec les Chinois. Il faut voir clair les choses. Les Chinois ne sont pas trop regardants quand il s’agit de la bonne gestion. Pourquoi les gens se méfient des entreprises occidentales ? Parce que là-bas il y a des exigences. Vous avez remarqué même notre ministre des mines au temps du CNDD, il a des problèmes aux Etats-Unis par rapport au pot-de-vin qu’il aurait reçu ici. Mais est-ce que vous pensez que si c’était une entreprise chinoise et que ce Monsieur  vivait en Chine, il allait avoir ça? Non. Alors moi, je ne suis jamais content quand on travaille avec les entreprises chinoises. On nous a également parlé du barrage de Kaléta.  Quasiment, on a doublé les coûts de réalisation. Les gens pensent qu’on a le courant, mais c’est à l’image d’un serpent qui se mord la queue. Si pour la réalisation d’un barrage, vous devez payer 300 millions de dollars, vous serez dans les 600 millions. Entre-temps, les 600 millions, vous devez les payer. Et qui doit payer ? C’est le contribuable guinéen. Et quand il paie, il s’appauvrit. Finalement, vous avez le courant dans les fils, mais personne ne l’a dans les ménages parce que vous êtes pauvres et vous ne pouvez pas payer la facture. Il faut donc que les citoyens commencent à penser au fait qu’il ne suffit pas seulement de construire des barrages, il faut permettre aux gens de consommer le courant électrique en améliorant leurs conditions de vie.

Merci Monsieur Kaké

C’est moi qui vous remercie

Propos recueillis par Gassime Fofana

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