Depuis le 18 août, les nouveaux bacheliers guinéens de la session 2025, ainsi que ceux de 2024 qui poursuivent leurs démarches, ont commencé à s’inscrire et à s’orienter dans les facultés et instituts du pays. Pour beaucoup d’entre eux, ce moment censé être celui de l’espoir et des projets futurs est teinté d’inquiétudes. Le problème ? Le fossé grandissant entre les formations universitaires et les besoins réels du marché du travail.
Un choix difficile pour les jeunes bacheliers
« J’ai toujours voulu étudier l’informatique, mais si on m’oriente vers les lettres modernes, je ne saurai quoi faire, parce que c’est ce que l’université propose. Et dans ce cas, je ne sais pas si je trouverai un emploi après », confie Mohamed Camara, nouveau bachelier.
Son témoignage reflète celui de milliers de jeunes confrontés à des choix imposés par un système éducatif souvent rigide et peu en phase avec les réalités économiques du pays.
En Guinée, plusieurs filières universitaires restent déconnectées du marché de l’emploi. Alors que le pays a besoin d’ingénieurs, d’informaticiens, de techniciens spécialisés et d’experts en gestion d’entreprise, de nombreuses facultés continuent de produire massivement des diplômés en lettres, sciences sociales ou sciences fondamentales, sans réelle insertion professionnelle.
Conséquences sur la jeunesse et l’économie
Cette inadéquation a des effets directs et préoccupants. Les jeunes diplômés se retrouvent souvent au chômage ou acceptent des emplois sous-qualifiés, loin de leur formation et de leurs aspirations. Le découragement, la perte de confiance et parfois la migration vers l’étranger deviennent des issues fréquentes.
« J’ai fini mes études en philosophie et je n’ai toujours pas trouvé un emploi correspondant à mon profil. Beaucoup de mes camarades sont dans la même situation, et certains se tournent vers le petit commerce ou quittent le pays », témoigne Mamadou Keita, diplômé depuis deux ans.
Conséquence économique de cette inadéquation
Pour l’économie nationale, la situation est également problématique. « La formation de diplômés non adaptés aux besoins du marché représente un gaspillage de ressources humaines et financières, freine l’innovation et limite la compétitivité du pays. En plus, les ressources investies dans la formation (salaires des enseignants, infrastructures, bourses, frais de scolarité) ne génèrent pas un retour sur investissement économique. Et cette inadéquation entre la formation et le marché d’emploi est la cause principale de l’augmentation du chômage structurel», affirme Ousmane soumah, économiste tout en ajoutant : « sur le plan sectoriel, certaines industries souffrent d’une pénurie de compétences adaptées, tandis que d’autres voient un excédent de diplômés inutilisables pour le marché. Sur le plan individuel, les diplômés de formations non adaptées peuvent être contraints d’accepter des emplois précaires ou faiblement rémunérés, réduisant leur pouvoir d’achat et donc la demande intérieure ».
Pourquoi ce décalage persiste-t-il ?
Selon cet acteur, plusieurs facteurs expliquent cette inadéquation : « d’abord, il y a le manque de coordination entre universités et entreprises, beaucoup de cursus sont peu révisés, et d’autres sont obsolètes ou trop théoriques, sans stages ni apprentissage pratique. Ensuite, la plupart des jeunes choisissent souvent leurs filières sans information complète sur les débouchés professionnels », indique Ansoumane Condé, sociologue.
Solutions pour rapprocher études et emploi
Pour combler ce fossé, dit-il, plusieurs pistes peuvent être envisagées : « de nos jours, il faut declencher de grandes réformes sur les programmes universitaires en introduisant davantage de formations pratiques et adaptées aux besoins du marché du travail. Il faut aussi renforcer l’orientation et l’accompagnement des bacheliers dès le lycée, en mettant en lumière les secteurs porteurs. Développer les partenariats avec les entreprises afin d’inclure stages, apprentissages et mentorat dans les cursus. Favoriser l’entrepreneuriat étudiant pour que les jeunes puissent créer leurs propres opportunités même dans un contexte d’emploi limité. Recourir aux technologies et formations en ligne pour préparer les jeunes aux métiers émergents, comme l’informatique, le digital, et l’énergie renouvelable » dit-il.
Gassime Fofana
