La gestion des catastrophes, les défis dans le secteur ainsi que les contraintes, Alhassane Barry à cœur ouvert !

« Prévenir vaut mieux que guérir. » Cette formule n’est malheureusement pas toujours respectée en Guinée en ce qui concerne notamment la gestion et la prévention des risques de catastrophes. Dans cette interview, Alhassane Barry, directeur national du Centre de Gestion des Catastrophes et des Urgences Environnementales du Ministère de l’Environnement et du développement durable, évoque une série de défis et de difficultés qui entravent leur mission de prévention et de gestion des catastrophes dans le pays.  

www.ledeclic.info: avant d’entrer dans le vif du sujet, dites-nous tout d’abord comment un risque peut-il devenir une catastrophe ?

Alhassane Barry : je voudrais tout d’abord définir les notions de catastrophe et de risques. Disons qu’une catastrophe, c’est le changement d’une situation dû à un aléa dont les dégâts dépassent l’entendement des victimes. Les victimes qui sont impactées ne peuvent pas se relever d’elles-mêmes. À partir de ce moment, on parle de catastrophe. Le risque est, par ailleurs, la combinaison du danger, de l’exposition et de la vulnérabilité. Donc les risques peuvent entraîner des catastrophes. S’il y a une exposition et une vulnérabilité. Mais, quand on parle d’inondations ou d’incendies, ce sont des aléas, ce ne sont pas des catastrophes. C’est quand une inondation change une situation ou impacte une communauté, de sorte que cette communauté ne peut pas se relever d’elle-même, qu’on parle de catastrophe. Il faudra en ce moment une aide extérieure.

Quelles sont les formes de catastrophes ? Et quelle est la plus néfaste ?

Quand on dit type de catastrophes, je voudrais qu’on ramène cela aux types d’aléas qui entraînent les catastrophes. Il y a une vingtaine de types qui peuvent entraîner les catastrophes. Parmi lesquels on va citer les aléas les plus fréquents que nous connaissons. En ce moment précis,  nous observons une forte précipitation qui peut entraîner les inondations. L’inondation, c’est un aléa qui peut entraîner les catastrophes. Il y a le vent violent qui est aussi un aléa qui peut entraîner les catastrophes; parlons des incendies que nous vivons, c’est un aléa qui peut entraîner les catastrophes ; parlons aussi des éboulements aujourd’hui qui se passent dans les zones d’extraction minière. Je vous informe aujourd’hui que c’est cet aléa qui fait plus de victimes en Guinée. Il ne peut pas se passer une semaine sans qu’il n’y ait un éboulement et qu’on compte des morts. Après l’éboulement, il faut parler aussi des glissements de terrain, de séisme ou de tremblement des terres; il faut ajouter des épidémies. On a vécu Ebola, nous sommes en train de vivre la Covid 19. À part cela, il faut aussi parler des mouvements sociaux.

La Guinée dispose-t-elle, à date, d’une politique de prévention et de gestion des catastrophes et d’aides aux victimes ?

Évidemment ! Avant qu’il n’y ait une catastrophe, le pays a mis des procédures en place. C’est ce qu’on appelle les plans d’urgence. Les plans d’urgence, c’est un mécanisme qui permet non seulement de prévoir, mais aussi de gérer quand ça arrive. Aussi, à partir des plans d’urgence, on a sorti des plans de contingences. Les plans de contingences sont des mécanismes qui sont mis en place pour pouvoir accompagner ceux qui sont victimes de catastrophe dans l’urgence.  En Guinée, il y a plus de 20 acteurs nationaux qui sont en charge de la gestion des risques de catastrophe. Chaque acteur a un rôle spécifique à jouer. Pratiquement, qu’est-ce que je veux dire ? Nous prenons, par exemple, la Protection civile. Quand il y a un incendie, ils viennent répondre, riposter pour éteindre le feu et sauver les personnes. La Direction générale en charge de la Protection civile riposte contre la catastrophe. C’est-à-dire, elle donne la réponse à la catastrophe et sauve les personnes. Quand vous prenez l’Agence humanitaire du MATD, quand la catastrophe arrive, elle vient donner les vivres et les non vivres, cherche à délocaliser les personnes et leur donne où rester, quoi manger, où habiter. Ensuite, avec l’agence du ministère de l’environnement, nous nous coordonnons. Nous coordonnons toutes ses actions sur le terrain. Donc, quand le mouvement arrive, chacun connaît son rôle et ce sont ces ensembles de rôles que nous appelons plans d’urgence et plans de contingences.

Pendant cette période de fortes pluies, quelles sont les mesures que vous avez prises pour la sécurité des citoyens avant et pendant les inondations ?

Avant cette période d’extrêmes précipitations, le gouvernement avait déjà pris le devant. On a commencé d’abord à identifier les zones à haut risque d’inondation. À partir de là, on a essayé de réduire carrément et d’éliminer ces risques parce que, pour qu’il y ait une inondation, il y a un certain nombre de facteurs déclencheurs : il y a la mauvaise gestion des ordures, les constructions anarchiques et il y a la forte précipitation qui s’adapte. Et quand nous, les humains, nous gérons mal les ordures et que nous bouchons les canaux d’évacuation d’eau, l’eau va chercher son chemin. Donc le gouvernement, après identification des zones à haut risque d’inondation, a procédé au curage des caniveaux. Les caniveaux ont été curés avant même la saison des pluies. Après cela, on a compris qu’il y a d’autres encore qui vivent dans des lieux précaires susceptibles d’être inondés. Nous avons pris d’autres actions parce que, à partir du moment où on a compris que cette communauté va être obligatoirement victime d’inondation, il faut venir vers elle, l’informer et la sensibiliser pour qu’elle soit résiliente. Cette semaine, nous sommes passés dans toutes les communes du grand Conakry pour informer et sensibiliser par rapport à une alerte qui a été lancée, disant que pour ces deux semaines, la Guinée va enregistrer de fortes quantités de pluie. Donc avant les pluies, nous avons curé les caniveaux et on a dit aux gens de ne pas mettre les ordures dans les caniveaux d’évacuation. Maintenant, pendant la saison des pluies, nous sommes là à informer et sensibiliser la population pour qu’elle soit résiliente. Et quand l’inondation survient, nous serons là pour secourir les personnes pour ne pas qu’il y ait mort d’hommes, trouver leurs biens et aussi les accompagner dans l’urgence. C’est-à-dire on leur donne quoi manger, où dormir, qu’est-ce qu’il faut porter. C’est cela le rôle du gouvernement avant, pendant et après.

Quels sont les défis qui se posent aujourd’hui à votre département ?

 Primo, c’est la coordination des acteurs. Les acteurs n’agissent pas en même temps. Malgré que chacun connaît son rôle, mais comme chacun agit de son côté, des fois il y a les conflits de compétences. Quand moi je suis là, en tant qu’agent de prévention et de réduction, si l’agent de la protection civile n’est pas là et que la catastrophe arrive, je suis obligé de jouer son rôle. 

Secundo, la Guinée a besoin d’un fonds d’urgence de gestion de risques de catastrophe. Ce fonds n’existe pas aujourd’hui. Normalement, quand un aléa passe, il faudrait qu’on ait un capital facile à décaisser pour faire face aux problèmes. Donc on n’a pas un moyen financier notamment pour les secours d’urgence.

Tertio, on a comme défi, le renforcement de capacités des agents et la mise en place des institutions de formation en gestion des catastrophes. Parce qu’en Guinée, nous n’avons pas d’écoles spécialisées en matière de réduction des risques de catastrophes. Nous qui avons des connaissances, on les a eues à travers les FORUMS, les ateliers que nous faisons à l’extérieur du pays.

Enfin, comme défi, c’est la prise en compte de la réduction des risques de catastrophe dans les programmes de développement. Dans tous les programmes de développement, on doit tenir compte de la gestion des risques de catastrophe mais surtout dans les Programmes de Développement Local. Quand vous voyez par exemple les communes qui sont exposées aux risques d’inondations, elles n’ont aucune ligne dédiée à la gestion de cet élément. Si toutefois une ligne était déployée, elles n’allaient pas attendre un partenaire économique et financier pour gérer la situation.

Derrière ces énormes défis signalés, quelles sont les difficultés aujourd’hui qui fragilisent ou entravent vos activités de gestion des catastrophes en Guinée ?

Les difficultés s’expliquent de fois par un problème de compréhension entre les techniciens et le politique. C’est le technicien qui peut interpréter les risques de catastrophe ; le politique ne voit que quand ça arrive. Donc il y a un décalage entre les techniciens et le politique qui décide du sort de ces agences de gestion des catastrophes. C’est pourquoi, nous avons des problèmes de moyens qu’on ne donne pas à temps, des programmes de formation que nous n’avons pas à temps, des problèmes de coordination qu’ils ne prennent pas en compte. Nous avons des problèmes au niveau des projets de développement où on ne tient pas compte de la réduction des risques. Quand vous prenez par exemple les industriels : vous créez votre industrie à quatre (4) milliards, il vous suffit juste 50 Millions pour mettre un plan d’urgence pour vous sécuriser et sécuriser votre bien. En négligence de la mise en place du plan d’urgence à 50 Millions, il peut y avoir une catastrophe qui va venir détruire les quatre (4) milliards et détruire le personnel. Mais qui va le comprendre ? C’est le technicien. Donc c’est ça nos difficultés. La prévention et la réduction sont gérées en silence avec presque zéro moyen. Tout le monde se focalise sur la gestion de la catastrophe. Cependant, là où on pouvait dépenser 1 dollar dans la prévention, quand ça devient catastrophe, on va dépenser 10 dollars. Il y a un décalage complet. Quand vous investissez dans la prévention, vous n’allez pas trop dépenser dans la gestion de catastrophe.

En attendant, quels sont les moyens de lutte dont vous disposez contre les catastrophes notamment les inondations ?

Il n’y a pas de moyens spécifiques pour les inondations par exemple. S’il y a catastrophe, le niveau d’eau peut arriver jusqu’au niveau du plafond. Il faut des hommes formés, des ressources humaines formées, les premiers moyens, à travers les gilets de sauvetage et les autres mécanismes par exemple les cordes, les lunettes. Nous avons prévu de former 100 conservateurs de la nature dans le programme de techniques de premiers secours et de sauvetage en cas d’inondation. Donc c’est des équipements comme ça qu’on a demandés. Parmi ces 100 conservateurs, on a prévu de former 42 à Coyah qui vont couvrir le grand Conakry, qui vont venir de la direction générale des conservateurs et l’office guinéen de parcs et réserves, de la direction nationale de faune et flore, de l’OGUIB, du milieu marin, du centre national de gestion des catastrophes.  Ces 42 personnes seront formées à Coyah et la formation se passera en deux étapes : la formation théorique (2 jours dans la salle) et celle pratique qui se fera sur le terrain. Les 60 autres seront formées à Mamou et nous inviterons toutes les autres préfectures qui vont rallier Mamou et surtout les agents qui sont dans les parcs. C’est important parce que quand il y a le feu dans les parcs c’est difficile pour nous de gérer. Les conservateurs ne sont pas formés. Ça c’est à l’intérieur.  Mais à Conakry, ils vont être formés pour appuyer la Protection civile quand par exemple il y a inondation.  À l’intérieur du pays, ils seront formés surtout par rapport à la gestion des feux quand c’est dans les parcs ou forêt classées. Donc, les ressources humaines, il faut les former et les équiper.

Maintenant là, moi j’ai fini de travailler sur les termes de référence et le budget. C’est au politique maintenant de décider pour le financement. Sinon, nous, on est fin prêt.

Aujourd’hui, quel appel on peut retenir de ce technicien ?

L’appel que j’ai à lancer, c’est à des niveaux très différents. Quand je prends d’abord la communauté, donc les citoyens, c’est de voir par eux-mêmes quand ils sont dans une zone à haut risque, s’ils ne peuvent pas quitter, ils n’ont qu’à être résilients. Savoir que ça va venir. Sinon, il faut carrément quitter le lieu et le risque est éliminé.

Quand nous prenons les collectivités, les élus locaux, les communes urbaines et les communes rurales, ceux-là doivent tenir compte dans leur programme de développement local (PDL)de la réduction des risques de catastrophe. Vous imaginez dans le grand Conakry, il ne peut se passer aucune saison de pluie sans qu’on ne parle d’inondation. Et dans leur PDL, il n’y a pas une ligne pour réduire ces inondations. Vous voyez le paradoxe ? Ils doivent en tenir compte.

Quand on prend au niveau sectoriel, nous qui sommes dans les différents ministères, nous devons accepter d’être coordonnés. On doit accepter de se coordonner à partir de la Primature. Quand nous prenons au niveau du gouvernement, celui-ci a le devoir, selon la Constitution, de préserver la vie des citoyens. Maintenant, qu’est-ce qu’il y a lieu de faire ? C’est de former les gens, les coordonner. Quand il y a les ressources humaines, les humains sont coordonnés, ils ont les moins, on va parler des aléas, on ne parlera pas de catastrophe. Quand on parle d’aléa, on peut dire qu’il y a inondation à ENTA ici mais personne n’est victime. Ça veut dire qu’on a réussi.

 

Interview réalisée par Mamadou Chérif Barry

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