Dans cette interview, Docteur Michel DELAMOU, Directeur général adjoint de l’Institut de Recherche Agronomique de Guinée (IRAG) explique les répercussions du déchaînement climatique tant sur le secteur agricole que sur les populations. Plus loin, le spécialiste en agronomie évoque l’impact des activités agricoles dans leur forme actuelle sur la santé climatique du pays, avant de proposer des mesures idoines non seulement pour réduire l’émission des gaz à effet de serre, mais aussi pour faire émerger le potentiel agricole guinéen.
www.ledeclic.info : quelle appréciation faites-vous actuellement du changement climatique de façon générale et en Guinée particulièrement ?
Docteur Michel DELAMOU : il faut commencer par retenir que le changement climatique est une augmentation rapide de la température de la superficie du globe, qui se manifeste par les régimes météorologiques en changement actuellement. Ce changement climatique est un problème planétaire, donc pas seulement guinéen. Et nous constatons beaucoup de problèmes non seulement au niveau des producteurs, mais aussi au niveau même de la population. Tout le monde ressent ce changement, en Guinée comme dans d’autres pays du monde. On constate des modifications, qu’il fait actuellement chaud et que l’ensoleillement n’est plus comme avant. Et tout le monde ressent, que ça soit chercheurs, producteurs et vous-mêmes, journalistes. Donc c’est le constat qui se dégage. Il y a un changement inhabituel que nous sommes en train de vivre actuellement au niveau de la nature.
Faut- il s’en inquiéter ?
S’en inquiéter ? Je pense oui. Mais on vit déjà la chose. Il faut plutôt s’inquiéter de sa résolution. Donc si on doit s’inquiéter, c’est par rapport à ce qu’il faut faire pour s’adapter à ce changement climatique, puisque c’était inhabituel. Il faut le faire savoir à tout le monde, surtout en tant qu’agronome, il faut le faire savoir à la population paysanne, qui est sur le terrain et qui fait de l’agriculture. Il faut leur faire comprendre pourquoi ce changement actuel du climat. Si avant, la pluviométrie n’était pas comme ça, si avant vous n’avez pas du temps de feu de brousse, si avant on utilisait n’importe quelle variété, maintenant c’est plus ça. C’est pourquoi, il faut que ces connaissances soient à la portée des paysans. L’autre inquiétude va se situer au niveau du monde développé, c’est-à-dire des pays développés, qui, à des différentes réunions , à des forums, promettent l’assistance à nous, les pays en développement. Par exemple, chaque année, ils disent qu’ils donnent 100 millards de dollars comme fonds climat, que les pays en voie de développement vont utiliser pour améliorer leur système de production, pour s’adapter au système. Et souvent, ces promesses ne sont pas vraiment pas au rendez-vous. On s’inquiète pour ça, parce que ceux qui nous ont amenés à cette situation vont continuer à se développer et nous, au Tiers-Monde, on va aller de mal en pis par rapport aux effets du changement climatique.
Quelles sont les répercussions du déchaînent climatique sur les activités agricoles notamment ?
Le changement climatique a beaucoup d’effets sur le secteur agricole. D’abord, je vais dire que le secteur agricole est d’une part la base du changement climatique, parce que c’est travers l’agriculture aussi qu’il y a l’émission des gaz à effet de serre, qui sont l’une des causes même du changement climatique, à travers les produits chimiques, les machines agricoles que nous utilisons. Donc les conséquences, ça se répercute sur les rendements . Si vous trouvez les cultures de riz, de pomme terre par exemple, on voit les effets du changement climatique. Dans les zones où la concentration par exemple du CO2 est forte, les scientifiques ont démontré une baisse de rendement de 10 à 14%. Si nous prenons par exemple côté Eau, dans les zones irriguées où il y a des aménagements, actuellement nous constatons des difficultés d’eau pour faire de l’arrosage. Si nous prenons par exemple des maladies et des parasites, il y a une apparition spontanée des maladies, que les producteurs ne connaissaient pas, il y a des insectes qui ne vivaient pas chez nous, que nous constatons dans les zones de production. Et ces insectes jouent sur la rentabilité de nos cultures. Il y aussi d’autres facteurs. Si les zones ne sont pas aménagées, on a le problème d’eau qui va se poser. Soit c’est parce que l’eau vient en quantité, au moment où on n’en a pas besoin ou la quantité d’eau qui est là est insuffisante pour faire nos cultures. Et actuellement, dans les zones de grandes plaines comme au bord de nos fleuves, par exemple au bord du Nil, du Niger et autres, nous constatons qu’au moment de la culture, il y a des problèmes d’inondations. Les paysans étaient habitués à cultiver le riz à une période, à un mois par exemple, le riz a une certaine taille, et quand l’eau vient, même si elle stagnait, c’était sous le riz.
Mais avec le changement, comme l’année dernière par exemple, l’eau est venue au moment où les producteurs de ces zones venaient juste de faire les cultures. L’eau a surplombé le riz, et il y a eu beaucoup de pertes de production.
Vous avez signifié que certaines pratiques agricoles sont aussi à la base de ce changement climatique, qui se répercute conséquemment sur le rendement agricole. Alors comment adapter l’agriculture au changement climatique en Guinée?
S’adapter, c’est adopter des méthodes qui permettent de vivre avec. Aujourd’hui nous parlons du cycle des cultures. Ici à l’Institut de Recherche Agronomique de Guinée, nous travaillons dans la résolution de certains problèmes. Avant, si dans les champs ou bien les producteurs utilisaient des variétés de 6 mois, la climatologie ou la quantité actuelle des pluies ne peut plus supporter. Il faut donc utiliser des variétés à cycle court. Cela veut dire qu’il faut adopter des variétés qui s’adaptent aux effets de changement climatique. Il faut aussi aller dans le sens de l’aménagement. Il faut que nos plaines soient aménagées pour que l’eau soit gérée pour la production. De l’autre côté, il faut des fois décaler la production. Si nous prenons par exemple le cas de la pomme de terre, la bonne période de production était la période des grandes pluies mais avec l’apparition en masse ou bien l’apparition d’une maladie qui les fatigue, ils sont obligés d’attendre vers la fin de la saison des pluies pour mettre les pommes de terre en place et une bonne partie des producteurs font ça actuellement. Une des solutions, c’est vraiment de décaler les périodes de culture et aller beaucoup plus dans les technologies, qui permettent vraiment de faciliter la productivité.
Il y a aussi le côté agro écologie. L’agro-écologie nous permettra ici par exemple d’adapter des méthodes de culture qui n’utilisent pas les feux de brousse et pas trop de labo. Le zéro labo permet d’utiliser des machines qui vont tailler les herbes et on fait ensuite des semences avec des traitements. Voilà un peu de moyens par lesquels il faut passer pour s’adapter au changement climatique.
Que faut il pour minimiser de façon générale le dérèglement climatique en Guinée ?
Pour minimiser les effets de changement climatique, d’abord c’est d’évaluer ces effets de changement climatique. Qui dit lutter contre quelque chose, revient à connaître la chose d’abord. En tant que chercheurs, nous, on ne dira pas oui il y a des effets de changement climatique. Il faut faire des études. C’est ce qu’on appelle l’étude de vulnérabilité. La vulnérabilité nous permet de savoir si le riz, dans telle zone, subit effectivement les effets des changements climatiques. Si oui, qu’est-ce qu’il faut faire ?
Je crois qu’il y a eu des études dans ce sens- là, grâce à l’aide du PNUD. Donc, pour minimiser ces effets, c’est d’abord voir quelles sont les périodes de production et en fonction des périodes de production, proposer des variétés qui s’adaptent à la sécheresse. Il faut aussi adapter nos cultures peut -être au système de rotation et surtout informer et former les producteurs pour qu’ils sachent déjà qu’il y a le changement climatique, comment s’adapter et quelles sont les méthodes qu’il faut pour vraiment atténuer ces effets de changement climatique.
L’autre facteur important, c’est l’agroforesterie. Parce que, même quand vous posez la question aux paysans, ils disent que c’est la coupe abusive des bois, c’est les feux de brousse, c’est ce qui fait qu’il y a des changements climatiques. Donc si nous savons que c’est ça, c’est de voir comment diminuer les feux de brousse avec l’agro écologie, avec le reboisement surtout des têtes de sources qui permettront aux eaux de venir en quantité pour arroser les cultures et aller aussi vers l’aménagement des bas-fonds. Ce serait beaucoup mieux de faire venir les producteurs dans les plaines, les bas-fonds que de les laisser détruire le peu de forêts qui restent pour juste cultiver et sans faire des rotations. Donc, ces méthodes nous permettront de diminuer ces effets mais l’autre côté aussi comme j’ai déjà dit c’est un problème mondial. Donc, il faut que les pays en voie de développement insistent pour que les fonds promis au cours des rencontres soient mis à leur disposition afin que le côté – beaucoup plus de la sécurité alimentaire – soit résolu. Parce que l’un des problèmes du changement climatique, c’est que ça provoque la famine. Et pour juguler cette famine, il faut vraiment qu’il y ait des moyens pour adapter des variétés résistantes, des variétés productives, former les producteurs, les accompagner avec des technologies de dernière génération pour créer une augmentation des revenus. Il faut aussi aller vers l’agriculture en fonction de l’utilisation des bio, des bioproduits, des bio-pesticides qui n’ont pas aussi beaucoup d’effets comme si c’était des engrais chimiques. Ça permettra de diminuer les effets de changement climatique.
De l’autre côté, il faut que tout le monde soit conscient que ces changements climatiques ont des effets et en tant qu’agronome, il faut quand même que l’agriculture se modernise avec des technologies basées sur l’utilisation par exemple de l’énergie. Pas de l’énergie fossile, mais de l’énergie renouvelable. Actuellement, avec le solaire et l’éolienne, ça permet de diminuer l’impact des énergies fossiles, qui constituent également des causes de l’effet du changement climatique. L’agriculture doit vraiment améliorer ses méthodes. Donc, la connaissance de tous ces facteurs permet de diminuer rationnellement les effets du changement climatique dans notre pays et à travers le monde.
Le potentiel vert de la Guinée est riche et énorme pour assurer la couverture alimentaire de sa population. Mais le pays est confronté à la faiblesse de sa production agricole. Qu’est-ce qui explique cette faiblesse et quelles sont les mesures nécessaires pour y faire face ?
Le déficit agricole est lié à beaucoup de facteurs. Mais rappelons qu’on a suffisamment de terres arables chez nous. La population guinéenne n’est pas aussi élevée que ça. Ça veut dire que si nos domaines agricoles sont bien aménagés, nous pouvons produire, nourrir les Guinéens et en conséquence, exporter même. Puisqu’on a des plaines, il suffit d’aménager ces plaines. Ce qui n’est pas fait. C’est pourquoi, il faut accompagner les producteurs, les outiller, les former à la nouvelle technologie et mettre à leur disposition des semences actualisées et qui sont adaptées au changement climatique. Il faut également stabiliser les producteurs dans certaines zones. Si vous prenez la zone de la Forêt, le système de culture doit changer, c’est-à-dire c’est pas à chaque fois qu’il défricher pour cultiver. Bref, il faut les stabiliser avec des technologies, favoriser la formation en matière de rotation ainsi que des appuis financiers et politiques de l’Etat. Nos producteurs n’ont pas de moyens. Sinon la Guinée a plus de 13 millions d’hectares de terres arables. Mais on n’utilise même pas 20% de ces ressources agricoles. Il faut soutenir ce que le ministère de l’agriculture est en train de faire depuis l’avènement du 05 septembre 2021. Nous constatons qu’il y a beaucoup d’équipements que le département est en train de donner aux producteurs. Qui dit producteurs, dit le matériel adéquat. Actuellement, le département distribue des tracteurs que les producteurs utilisent et on leur a crédit à moitié, car ils paient juste les 35%. Au fil de la production, ils continuent à payer. Avant, c’était impossible pour un seul producteur de payer un tracteur qui était à plus 300millions GNF. Donc c’est déjà un moyen d’aider les producteurs. Le département continue en même temps de mettre des semences et des pesticides à la disposition des producteurs guinéens. Et c’est comme c’est la révolution verte, il faut aller d’abord avec cette méthode pour accroître la production. Ensuite, revenir sur des méthodes appropriées pour maintenir cette production.
Propos recueillis par Mamadou Chérif Barry