Dr A. Makanéra Kaké : « si on revoit les contrats miniers, la Guinée peut même passer de l’argent au FMI »

L’aspiration des pouvoirs politiques notamment ceux du Tiers – monde reste le développement. Pour y arriver, les gouvernements déterminent leur schéma de croissance à travers un budget, qui reflète et balise l’élan du progrès. En Guinée, la loi des finances rectificative 2021 est caractérisée par une série de problèmes et apparaît aux yeux de beaucoup d’observateurs comme un moyen d’enrichissement de certains cadres au détriment du développement national. Dans cette interview, Dr Alhassane Makanera Kaké, spécialiste des questions de Finances, explique quelques anomalies liées au budget 2021, de son élaboration jusqu’à la dernière phase. Enfin, il met l’accent sur comment trouver de l’argent et la nécessité de revoir les contrats miniers en Guinée.

Ledeclic.info : l’élaboration du budget est une étape essentielle dans la conception et la mise en œuvre des programmes et projets de développement d’un pays. Par quoi se caractérise cette étape ?

Dr A. Makanéra Kaké : si nous prenons la procédure budgétaire, on a l’élaboration du budget, l’exécution du budget et le contrôle du budget. L’élaboration du budget veut dire simplement, en 2021, il faut combien d’argent, de recettes pour la Guinée ou de ressources et il nous faut combien comme dépenses ? Mais notre loi dit, pour fixer les recettes, il faut faire l’évaluation directe. Et malheureusement, chez nous, on fixe les quotas. On réfute tout ce qui est scientifique. Au lieu de prendre des données réelles, pour dire par exemple tel service doit générer telle recette ou donner tel montant, en fonction d’un calcul rationnel, les gens se réunissent au ministère chargé de cela, pour dire l’impôt donne tel montant ou tel milliard , ainsi de suite. Raison pour laquelle, si vous remarquez, comparer sur le plan régional, et même sur le plan mondial, c’est seul en Guinée, où chaque année, on fait plus de cent pour cent (100%) de recettes. Ça signifie qu’on a ignoré les prévisions. Ça c’est un premier problème.
Le second problème, c’est au niveau des dépenses. Aucun cadre ne vous dira que les dépenses sont définies suivant une évaluation directe. La pratique actuelle, c’est le ministère des Finances qui attribue des montants aux différents secteurs, aux différents départements dépensiers. C’est à chacun maintenant de répartir. Par exemple, on dit tel ministère, 1.000 milliards. C’est le ministère qui loge ces 1.000 milliards dans ses prévisions. On ne commence pas par les besoins du service, remonter ensuite pour trouver le montant qu’il faut. Mais on attribue. Ce qui signifie qu’on a raté la préparation.

Quelles sont alors les exigences de la loi des finances en matière de l’élaboration ou de la programmation des recettes ?

En Guinée, il y a beaucoup de services qui gèrent les recettes mais qui ne sont pas comptabilisées. Ce sont essentiellement, les établissements publics comme le Port autonome de Conakry, les patrimoines bâtis publics, l’EDG ou l’ARTP. Si vous lisez le rapport de la Cour des comptes, il y a plus de 140 ou 150 établissements publics. Tous ceux- ci ne versent pas de l’argent au Trésor ou quand ils versent, c’est peu. Ce qui signifie que le ministère des finances est incapable de comptabiliser toutes les ressources, tel que la loi le dit, ou malheureusement, il comptabilise mal. Parce qu’au lieu de faire l’évaluation directe, le ministère fixe des quotas et même au niveau de la répartition.

Qu’en est-il maintenant de l’exécution du budget ?

L’exécution du budget se fait après une forte concentration au niveau du pouvoir central, c’est-à-dire l’ordonnateur est propriétaire du budget de son département. Les ordonnateurs gèrent le budget comme c’est pour eux. Alors que la loi parle de la concentration budgétaire. La preuve : demandez à n’importe quel fonctionnaire, n’importe quel député, s’il connaît le budget de sa structure et le budget de son service. Personne ne vous le dira. C’est une gestion opaque. Ensuite, vous regardez la passation des marchés, vous n’entendrez que le gré à gré, alors qu’en moyenne, plus de 50% du budget passe par le marché public. Il y a une opacité totale à ce niveau également.

Si nous mettons l’accent sur la nomenclature budgétaire, le contrôle est aussi l’une des phases les plus importantes. Que faut-il en retenir ?

Depuis la création de l’Assemblée nationale en 1958, il n’y a jamais eu une commission d’enquête. Donc pratiquement, on n’a jamais contrôlé. Vous prenez la Cour des comptes, qui fait partie des grands corps du contrôle d’Etat, il n’a jamais fait un rapport juridictionnel, c’est toujours narratif. Ça veut dire pour la Cour des comptes, tout marche bien en Guinée. Sur le plan administratif, je prends, par exemple, les contrôleurs financiers ou l’inspecteur général des finances, tous ces grands corps de contrôle n’ont pas du tout un programme annuel de contrôle, tel que la loi le dit. Ils sont assis. C’est seulement lorsque le ministre ou le Président de la République leur demande d’aller faire un tel travail, qu’ils se mettent en mouvement.

Malgré tout, comment peut-on trouver de l’argent, surtout en cette phase de transition, pour faire face au défi de développement ?

Pour dégager le dividende budgétaire, il faut voir les salaires. Ils sont artificiellement gonflés. Il suffit de prendre le salaire et le diviser par le nombre d’employés, vous verrez que chaque salarié doit avoir trois fois son salaire. Ensuite, vous regardez les dépenses communes, qui ne sont rien d’autre que le double emploi, en dehors des dépenses de remboursement de la dette. En plus, vous avez les dépenses d’investissement qu’il faut revoir. Cest là où il y a les surfacturations et des faux investissements, qu’on paie alors que le service n’a pas été rendu. Vous avez également des dépenses de transfert. Chaque service fait du transfert. Demandez- leur qui a reçu les dépenses de transfert et à qui les transferts ont été faits. Donc, lorsqu’on regarde les salaires, les dépenses communes, les dépenses d’investissement et les dépenses de transfert, y compris l’achat de biens et de services, vous serez étonnés. Parce qu’en en Guinée, le mobilier y compris la voiture, on peut acheter sortie d’usine. Il est amortissable sur une période d’une année. C’est classique. Ce qui fait que chaque ministère, chaque service dépensier, renouvelle dans le budget chaque année, les dépenses et les besoins liés à l’immobilier. Cela veut dire que votre table – banc ou votre bureau, si vous faites cinq ans, le contribuable guinéen paie pour vous cinq bureaux. Et vous trouverez que le ministre a le même bureau, mais il reçoit cinq fois le prix de ce bureau.

Ces derniers années, le régime déchu a mis plus d’accent sur les mines. Quelle analyse faites- vous des contrats que la Guinée a scellés avec les sociétés minières ?

Aujourd’hui, en moyenne, l’exploitation minière augmente de plus de 18% et les recettes baissent de plus de 10%. Mais où on en est ? C’est des chiffres officiels. C’est paradoxal. Le prix de l’aluminium augmente, la production guinéenne augmente, mais le revenu baisse au niveau des mines. Alors que si la production augmente, le revenu doit augmenter et si le prix augmente, le revenu doit encore augmenter. Actuellement, il y a deux augmentations, mais le revenu baisse. C’est pourquoi il faut bien voir le secteur minier. D’ailleurs, c’est raison pour laquelle, moi je demanderai aux nouvelles autorités de revoir tous les contrats miniers, surtout les sociétés implantées à Boké. Si on revoit les contrats miniers, la Guinée peut même passer de l’argent au Fonds monétaire international.

Propos recueillis par Gassime Fofana

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