La communauté internationale célèbre ce samedi 20 juin, la journée mondiale des réfugiés. Dans son rapport annuel, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR) estime qu’en 2019, 79,5 millions de personnes ont été déplacées de force dans le monde entier, en raison des persécutions, conflits ou d’autres événements similaires. Beaucoup de Guinéens se retrouvent à travers le monde notamment au Maroc où les conditions de vie sont parfois difficiles et l’avenir très incertain. Nous avons voulu en savoir sur ces Guinéens qui ont tenté l’avenir mais qui ont, pour un temps ou pour l’éternité, trouvé réfuge au Royaume chérifien. Un de nos reporters s’est entretenu avec Bah Mamadou Mouctar, Guinéen résident au Maroc, dans la ville de Nador et travaillant pour la Délégation Diocésaine des Migrations de la zone orientale dont il est le coordonnateur des projets extérieurs (pays d’origine).
Alors, vous êtes un des jeunes guinéens qui vivent au Maroc. Expliquez-nous un peu la situation dans ce pays d’accueil ?
Le Maroc est un pays très développé en termes d’infrastructures et surtout qui est un pays avancé par rapport à la Guinée. Mais c’est aussi un pays où il n’est pas facile de vivre sans carte de séjour. Car pour pouvoir obtenir un emploi décent il te faut la résidence qui n’est pas facile à obtenir sauf dans le cadre des études et pour des raisons médicales. Il y’a un grand nombre de Guinéens qui y vivent pour diverses raisons dont les études, le travail, les soins mais aussi pour la migration en Europe.
Justement vous parlez de la cherté de la vie au Maroc et vous travaillez dans le domaine de la migration. Quelle est la situation des jeunes guinéens qui y vivent?
J’ai eu à rencontrer pas mal de jeunes guinéens, des mineurs et des majeurs dans plusieurs villes du Maroc. Mais le constat est que les problèmes de ces compatriotes sont différents selon leurs statuts et leurs villes d’habitation. Par exemple il y a beaucoup de jeunes qui sont dans les villes (Rabat, Casablanca, Marrakech et autres). Ces jeunes sont libres dans ces agglomérations mais, comme je vous ai dit depuis le début, s’ils n’ont pas la résidence, ils sont confrontés à des problèmes pour trouver un emploi afin de subvenir à leurs besoins basiques. Par contre ceux qui se trouvent dans les villes frontalières avec l’Espagne (Nador, Tanger, Layounne…), sont confrontés à un problème d’abord de mobilité car étant illégaux sur le sol marocain comme ils aiment à le dire, ils ne peuvent pas se déplacer pour faire des courses même en ayant les moyens car la police est toujours là pour les attraper et les éloigner de ces villes.
Donc sans liberté il y’a toujours des ennuis surtout avec ceux qui sont plus vulnérables comme les femmes et les enfants. Ils jouent au cache cache avec les autorités pour pouvoir se déplacer et acheter des provisions car dans d’autres villes les migrants vivent dans des forêts.
Au regard de la situation de ces jeunes au Maroc, quelle analyse faites-vous de l’immigration ?
Je dirais que l’immigration a des aspects positifs et négatifs. Positifs dans le sens où moi-même j’ai pu vous parler aujourd’hui c’est grâce à mes compétences d’une part et de l’autre à la DDM (Délégation Diocésaine des Migrations) que jai pu rencontrer parce que je me suis rendu au Maroc. Personnellement je connais plein de jeunes qui sont partis en Europe de façon illégale mais qui constituent aujourd’hui des références dans leurs familles et même dans leurs sociétés.
Pour moi il y a plusieurs problèmes liés à la migration dont la mauvaise information sur le contexte migratoire au Maroc et en Europe. C’est vrai aussi que la vie des migrants au Maroc n’est pas facile. C’est vraiment un combat quotidien mais pour lutter contre ça et amener les jeunes à rester, je pense qu’ils nous faut plus qu’une publicité et des témoignages. Il faut réellement l’engagement de toutes et de tous y compris l’Etat et les institutions qui l’accompagnent sinon les jeunes vont toujours prendre la route de l’aventure car l’être humain est immigrant de nature.
Comment vous faites, vous en tant que guinéen et évoluant dans l’humanitaire, pour aider ces jeunes ?
Personnellement je les aide du mieux que je peux. Je reçois des appels chaque jour pour des personnes qui sont dans une situation difficile et si je peux les aider individuellement avec mes moyens je le fais. Le cas échéant je les réfère à des Organisations que je connais ou des personnes que je connais qui pourront les aider.
Et il faut noter que c’est pas seulement la communauté guinéenne que j’aide; c’est presque toutes les nationalités car à la DDM, il n’y a pas distinction de nationalité. Tout le monde est pris au même pied d’égalité à part, bien sûr, le degré de vulnérabilité de la personne. Donc nous leur apportons une aide médicale en prenant tous leurs soins en charge, une aide psychosociale pour les aider à tenir bon et ne pas s’ennuyer et aussi en procédant à des distributions alimentaires et des kits de protection (des jackets pour l’hiver et des draps pour se couvrir…) Et il y’a aussi une aide sociale pour inscrire les nouveau-nés dans les registres de l’état civil marocain et l’accompagnement social des personnes qui sont dans le besoin. En gros il y’a plusieurs équipes dynamiques qui sont là pour s’assurer qu’ils vont bien car notre vision c’est que tout le monde a droit à la santé et à l’appui s’il est dans le besoin.
En Guinée, quelles sont les actions vous menez pour ces jeunes qui reviennent de leur aventure ?
Bon depuis le mois de mai 2019, nous avons commencé un petit projet de diagnostic et de sensibilisation dénommé « Route migratoire des Guinéens vers l’Europe » en collaboration avec OGLMI et AGICOM dans 4 villes (Conakry,Kindia, Mamou et Labé). Ce projet consistait à sensibiliser les jeunes mais aussi les parents sur le dangers liés à la migration et les opportunités aussi. Chez les parents c’était de leur faire prendre conscience de la vie que leurs enfants mènent au Maroc et en Europe. Notre objectif est réduire un peu le poids des parents chez les jeunes afin de leur permettre d’avoir le temps de suivre une formation et d’avoir un bon emploi, ne pas céder à leur pression et se mettre à travailler pour les aider. C’était aussi pour leur faire comprendre la vie au Maroc afin de faciliter l’accueil de ces enfants une fois de retour dans ces familles, pour ne pas qu’on les voie comme des ratés ou quelque chose de ce genre. Et de l’autre côté, nous avons mené des entretiens avec des personnes pour connaître le niveau d’information des potentiels migrants guinéens sur le contexte migratoire.
Comment vous menez les activités sur le terrain?
Après cette première phase de diagnostic nous avons initié la seconde phase le mois de février 2020. Elle consistait à mettre en place une plateforme citoyenne d’appui aux migrants – PCAM en abrégé- qui regroupe en son sein 5 organisations dont la Croix-Rouge guinéenne, OCPH caritas, OGLMI, AGICOM et la DDM. Dans cette plateforme il y’a 4 lignes d’intervention qui sont la sensibilisation sur les dangers et opportunités de la migration, la réintégration des migrants déportés depuis le Maroc qui n’ont pas de soutien, le soutien psychosocial des familles endeuillées par la migration et la recherche des personnes disparues au Maroc, et les plaidoiries pour une amélioration des conditions de vies de migrants et leurs communautés. Mais malheureusement nous avons dû suspendre les activités après la propagation du virus en Guinée et les mesures prises par l’État.
Pour terminer, aujourd’hui c’est la journée mondiale des réfugiés. Dites-nous, qu’est-ce que cela vous inspire?
C’est une journée très importante pour moi car je crois fermement à l’article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme qui stipule que chaque individu a le droit de se rendre dans un endroit et de revenir chez soi quand il veut. Donc c’est un long combat pour nous activistes pour la liberté de circulation des personnes réfugiées et de leur protection dans les pays d’accueil. Liberté – égalité – sécurité : telles sont mes devises et je suis convaincu que c’est possible.
Propos recueillis par Aliou Diallo