On en sait un peu plus ce mardi 15 janvier 2019 dans la décision tant attendue du tribunal de première instance (TPI) de Mamou où quatre personnes, non les moindres, attendaient d’être situées sur leur sort. Il s’agit de Carlos Corces i Bustamante de nationalité espagnole et Mohamed Camara mis sous mandat de dépôt le 21/09/2018, Mamadou Dia mis sous mandat de dépôt le 23/10/2018 et Colonel Namory Kéita, Directeur du Corps des Conservateurs de la Nature, Chef de l’organe de gestion de la Convention CITES et ex-directeur national des Eaux et Forêts. Ils étaient poursuivis pour détention illégale d’armes à feu et de munitions, chasse, abattage d’espèces animales protégées et détournement de deniers public, faits prévus et punis par les articles 848, 765 du Code Pénal puis 47, 126, 161 et 164 du Code de protection de la faune.
Dans son délibéré du mardi 15 janvier 2019, le juge a reconnu coupables les quatre prévenus pour les faits mis à leur charge, en s’exerçant à requalifier les faits pour Mamadou Dia et Namory Keita en complicité d’abattage, usurpation de titre, faux établi sur des documents. Ainsi, le tribunal condamne : Namory Kéita à 1 an de prison assortis de sursis et 5.000.000 GNF d’amende, Mamadou Dia à 8 mois de prison assortis de sursis dont 2 mois et 20 jours de prison ferme, Carlos Corces à 1 an d’emprisonnement dont 8 mois avec sursis, au paiement de 2 millions GNF d’amende et à l’interdiction de séjour dans la réserve de Sabouya pendant 5 ans, et Mohamed Camara à 6 mois de prison assortis de 3 mois de sursis et 500.000 GNF d’amende. Sur l’action civile, le tribunal reçoit l’Etat comme Partie Civile, condamne Carlos Corces au paiement de 180.000.000 GNF à titre de dommages et intérêt, et condamne solidairement Namory Kéita et Mamadou Dia au paiement de 60.000.000 GNF pour tout préjudice causé à l’Etat.
Pour rappel, c’est suite à des dénonciations au point focal de la criminalité faunique du Ministère de la Justice relative à l’existence frauduleuse d’une réserve de 25.000 ha servant de lieu de chasse commerciale, dont le nommé Carlos Corces de nationalité espagnole prétendait être propriétaire sur la base d’un faux contrat d’amodiation signé par le colonel Namory Keita, Directeur National des Eaux et Forêts au moment des faits et Mamadou Dia, chef de division faune à la Direction Nationale des Eaux et Forêts que la rocambolesque affaire a éclaté. Ainsi, toutes les personnes impliquées ont été mises aux arrêts dans le cadre d’une information judiciaire et entendus par le tribunal de Mamou.
L’audience correctionnelle a duré deux jours du 03 au 04 janvier 2019 où chaque prévenu a donné sa version des faits. Carlos Corces se disant chasseur de profession, a irrégulièrement occupé la réserve de Sabouya depuis 2005 alors que ce contrat avait été établi de façon frauduleuse par Namory Keita et Mamadou Dia en 2016. Ce contrat avait été signé en catimini pour une durée de 7 ans renouvelables, à l’insu du Ministère de l’Environnement, leur autorité de tutelle, et Carlos Corces leur avait versé un montant de 30 000 000 GNF à la signature.
Carlos Corces était poursuivi pour détention illégale d’armes à feu et munitions sans permis, et solidairement poursuivi avec Mohamed Camara pour les délits d’abattage d’espèces animales protégées. Quant à Mamadou Dia et Namory Kéita, les deux étaient poursuivis pour détournement de deniers publics. Une charge qui fut finalement requalifiée par le tribunal, ils ont été condamnés pour complicité d’abattage, usurpation de titre, et faux établi sur des documents.
Durant les deux jours de débats houleux opposant le juge audiencier, les prévenus, la défense, la Partie Civile par l’entremise de son avocat et le Ministère public, les dessous de l’affaire ont été étalés sur la place publique : Carlos Corces, interpellé dans sa résidence privée à Room sur les Îles de Loos à Conakry, affirme en substance avoir pris des papiers légaux par le contrat d’amodiation de la réserve des mains de Mamadou Dia et de Namory Kéita. Il ajouta en disant qu’il avait à l’époque remis 30 millions GNF à Mamadou Dia qui à son tour, les a remis à son Directeur d’alors, Namory Kéita.
De son côté, Mamadou Dia, chef de division faune à la Direction Nationale des Eaux et Forêts a reconnu à la barre avoir pris l’argent avec Carlos dans le cadre de l’exploitation de la réserve de Sabouya. Mais, a-t-il poursuivi, le montant reçu des mains de Carlos s’élevait à 20 millions GNF et non 30 millions.
Appelé à comparaitre à la barre pour sa défense, colonel Namory Kéita a rejeté du revers de main toute les affirmations de Mamadou Dia en niant qu’il n’a ni de près, ni de loin connu et rencontré Carlos pour parler de quoique ce soit. Par rapport au montant qui constituait les frais d’amodiation dont faisaient cas Carlos et Mamadou Dia, l’homme en tenue dit n’avoir jamais reçu de l’argent des mains des deux prévenus. Or la Partie Civile a relevé des points sensibles sur son indignation face aux agissements de Carlos, Mamadou Dia et Namory Keita, tous fautifs dans l’amodiation frauduleuse de cette réserve fictive de Sabouya, une réserve non enregistré et non reconnue par le Ministère de l’Environnement et par l’Etat Guinéen. Ce territoire a donc été amodié secrètement par des cadres véreux de l’Etat pour le profit, autorisant un étranger à faire abattre massivement des espèces animales protégées par des chasseurs du monde entier. Chose, selon elle, qui a contribué davantage à ternir l’image du pays à l’échelle internationale. Pire, poursuit-elle, un contrat sur fond de fraude où l’argent versé par Carlos est resté dans les poches des deux fonctionnaires corrompus. Par conséquent, elle estimait que la loi devrait sévir vigoureusement pour dissuader les autres cadres de l’Etat qui seraient tenté par de telles aventures.
Selon un juriste, cette requalification des charges mises à l’encontre de Namory et de Dia ne les dédouane pas des faits de détournement puisque le montant que Dia a reconnu avoir perçu n’a jamais été versé au compte du Fond Forestier, seule instance habilitée à percevoir des fonds en la matière donc, les faits de détournement orchestré par les deux cadres sont avérés. Par conséquent, se résume-t-il, la peine d’emprisonnement de 5 ans à 10 ans aurait dû être prononcée puisque ce sont des fonctionnaires de l’Etat, poursuivis pour des faits de détournement.
Contre toute attente, la Partie Civile a été très surprise de la décision rendue par le tribunal sur une affaire aussi grave et scandaleuse alors que la Guinée devrait s’en servir comme un exemple de fermeté de l’Etat en terme d’application de la loi contre d’une part la criminalité économique et financière impliquant les commis de l’Etat et d’autre part contre la criminalité sur la faune protégée par la loi.
Du commun des observateurs, cette décision du tribunal est de la simple poudre aux yeux qui n’est pas de nature à dissuader les fonctionnaires de l’Etat guinéen à céder à la corruption et au détournement d’argent public. Puisqu’on ne peut comprendre que Namory Kéita, Directeur actuel du corps des conservateurs de la nature et Chef actuel de l’organe CITES en Guinée soit impliqué dans une telle affaire sans qu’il ne soit condamné par une peine d’emprisonnement ferme et dissuasive. Pour constat, Keita n’a même pas daigné se présenter au tribunal lors du délibéré, comme s’il savait ce qui allait être retenu contre lui.
Cette décision incompréhensible intervient à quelques jours de l’arrivée en Guinée d’une mission de Genève du Secrétariat de la Convention CITES des Nations-Unies pour évaluer les progrès de la Guinée dans l’optique éventuel de lever la sanction, une lourde sanction infligée à l’Etat guinéen en 2013 en partie à cause de l’ancien Chef d’organe CITES , A. Doumbouya qui été impliqué dans une affaire similaire de complicité et avait délivré à des trafiquants de nombreux permis CITES frauduleux autorisant l’exportation de centaines de grands singes en Chine.
L’on se demande que fera le département de l’environnement contre un tel comportement de commis de l’Etat alors que l’image de la Guinée est altérée sur le plan international et qu’elle baigne encore sous le poids de la sanction CITES ?
Face à une telle situation scandaleuse mettant à mal les efforts du Gouvernement en termes de lutte contre la corruption impliquant les fonctionnaires de l’Etat, maints observateurs se disent déçus de la décision du tribunal qui remet également en cause les efforts des partenaires internationaux et des autorités guinéennes pour mettre fin aux crimes sur la faune et au commerce illégal pour lesquels la Guinée est indexée depuis une décennie par la communauté internationale.
Il faut rappeler que le commerce illégal des espèces est un crime organisé transnational. Il représente le 5ème commerce illégal le plus important au monde amassant plus de 20 milliards de dollars chaque année.
Fatou Kourouma