Dans l’attente de la proclamation des résultats issus de la présidentielle du 30 décembre 2018, la RDC retient son souffle, la tension est à son comble, les yeux et les oreilles des Congolais sont rivés sur la CENI et son président Corneille NANGAA. Avec un retard de deux ans, cette élection a finalement eu lieu malgré les imprévus (incendie des locaux de la CENI à Kinshasa, épidémie d’Ebola dans les secteurs de Béni et Butembo). Mais l’élément qui retient mon attention est la nouvelle leçon de changement dans la continuité qui se met en place lentement mais sûrement en Afrique Australe, façon Poutine.
KABILA, ou comment assurer ses arrières et préparer son comeback ?
Ne vous fiez pas à son jeune âge pour un Président africain. Joseph KABILA a vite appris la politique au point de devenir une figure importante et incontournable de la scène politique congolaise. Le Katangais connait les arcanes du pouvoir comme personne. S’entourant d’éminents juristes spécialistes dans le tripatouillage de la constitution et de communicants inégalées (Lambert MENDE), il a su manier les politiques de son pays à sa guise pour se maintenir au pouvoir après l’expiration de son mandat. Tout n’était pas tout noir ni tout blanc durant son règne mais avec la dernière la révision du code minier, il s’est mis à dos les multinationales qui exploitent les richesses de ce vaste pays d’Afrique australe si riche mais si pauvre. Ainsi, devant les pressions internationales (les multinationales et les occidentaux notamment) et le ras-le-bol des Congolais, comme le note mon collegue Lamine Diallo, Kabila fils s’est rendu à l’évidence que l’heure est venue pour lui de céder le fauteuil présidentiel (pour 5 ans ?).
Etant au parfum des situations « compliquées » que vivent certains Présidents africains après avoir quitté le pouvoir, Kabila a pris soin de se préparer un statut confortable : il a discrètement fait passer une loi sur mesure, en juillet 2018, qui lui garantit une pension, un logement, la prise en charge de ses soins de santé et de sa sécurité ainsi qu’un passeport diplomatique. En outre, quand le nouveau Président sera connu (Emmanuel Ramazani SHADARY ?), l’ex-président deviendra automatiquement Sénateur à vie (article 104 de la Constitution congolaise) et bénéficiera ainsi de l’immunité propre aux parlementaires (article 107 de la Constitution). Loin d’être simplement «l’autorité morale de référence » de la majorité, Joseph Kabila aura une place garantie dans le système institutionnel.
Cohabitation ou véritable alternance ?
En désignant M. SHADARY, cet inconnu pour la grande majorité des Congolais comme son dauphin, Joseph Kabila espère se la jouer à la Poutine ou dans une moindre mesure à la DOS SANTOS. Il envisage de faire son retour après le mandat de son protégé. Pour ce faire, une seule solution : ayant déclaré qu’il ne quittera pas son pays, il devra faire profil bas et se contenter de son rôle d’autorité morale et œuvrer à ce que le Président élu puisse gouverner sans encombre. Ayant été un fidèle serviteur du pouvoir en place et adoubé par celui-ci, Shadary peut exaucer les voeux de son patron en lui renvoyant l’ascenseur en 2023 comme l’avait fait Dmitri Medvedev avec Vladimir Poutine entre 2008 et 2012.
En revanche, comme le pouvoir est une tentation en Afrique, la cohabitation entre les deux hommes pourrait tourner au fiasco. Si le dauphin tente de s’émanciper de son mentor et que le tandem devient dysfonctionnel, Joseph Kabila pourra orchestrer un retour anticipé soit en forçant son successeur à la démission grâce à une fronde parlementaire et des élections anticipées, soit en le destituant par la force. Pour ce faire, il a comme atouts sa fortune et ses hommes dans la haute hiérarchie militaire, en outre, avec la possibilité pour Kabila en tant que sénateur de devenir Président de cette institution parlementaire, il pourra créer d’autres problèmes d’ordre institutionnels rendant le pays ingouvernable. .
Il faut noter que Shadary pourra quand même, dans une moindre mesure, imprimer sa patte en posant des actes allant dans le sens d’un véritable changement de gouvernance comme l’a fait Joao LOURENCO en Angola. Rappelons néanmoins que la longévité du premier au sein de l’appareil étatique congolais n’est pas comparable à celle de l’Angolais. Ce dernier est un fin connaisseur de la politique angolaise, de l’indépendance à nos jours, et connaissait aussi le Président pour avoir fait toute sa carrière à ses côtés. Raison pour laquelle la succession négociée entre Dos Santos (Président jusqu’en 2017) et son dauphin Lourenço a mal tourné pour le premier, alors que le rapport de force semblait en faveur de Dos Santos au pouvoir de 1979 à 2017 ! Malgré le deal tacite entre les deux hommes, le nouveau Président
qui paraissait condamné à vivre dans l’ombre de son puissant prédécesseur a, contre toute attente et en moins d’un an, fait place nette : il a purgé le système de pouvoir angolais du clan Dos Santos, n’hésitant pas à poursuivre les enfants de son prédécesseur.
Ainsi, au lendemain de la gueule de bois, si c’est Shadary qui est élu, après un an au pouvoir, on se fera une véritable idée de la cohabitation entre les deux hommes à la tête du plus grand pays d’Afrique.
Enseignements
Dans le contexte actuel de résurgence des populistes aux cinq coins de la planèt, une nouvelle façon de s’accrocher au pouvoir a tendance à émerger en Afrique. Si le fait n’est pas nouveau, les modalités et les personnes sont différentes. Au Mali, Amadou Toumani Touré avait conquis le pouvoir par les urnes après un bref passage à la tête du pays suite à un coup d’Etat militaire. La situation est pareille au Ghana avec Jerry Rawlings et au Nigeria avec Muhammadu Buhari.
Les exemples angolais et congolais nous laissent un peu dans l’incertitude. Si la succession se passe comme en Angola, y a moins de risques car Dos Santos avait déjà fait le tour de la question sur le fauteuil. A contrario, en RDC, on ne sait pas à quoi s’attendre. Ce sera un cas d’école. L’âge relativement jeune de Kabila et sa volonté non dissimulée de revenir au pouvoir peuvent affecter, à n’en pas douter, le mandat de celui qui sera élu, peu importe l’identité de ce dernier.
Mon inquiétude dans ce système de changement dans la continuité est qu’il donne des idées aux Présidents qui veulent se la jouer « « à toi –à moi ». Une oligarchie ou un clan mafieux dictatorial peut se mettre en place pour confisquer le pouvoir et faire des captures d’Etat. Il faudra repenser en urgence les Constitutions de certains pays pour les vérrouiller et interdire à un Président qui a épuisé ses deux mandats de se représenter une nouvelle fois pour les présidentielles.
Chacun peut donner sa proposition, moi je me limite là pour le moment…
BAH HAMIDOU
Chargé de la commande Publique
Consultant international
Spécialiste en Géopolitique