La situation socio-politique de la Guinée continue toujours de susciter des tollés dans la cité. Depuis la signature de l’accord entre l’opposition et la mouvance, le débat reste figé sur l’installation des conseillers communaux. Mais à ce niveau, plusieurs voix s’élèvent, surtout de la part des mécontents des partis politiques et d’autres spécialistes. Si d’un côté l’opposition se dit satisfaite d’un tel accord et obtient une bonne partie de ses revendications, les militants de la mouvance, quant à eux, estiment que c’est une manière de mettre à l’eau les suffrages valablement exprimés par les citoyens.
« Après 12 ans, notre pays a réussi à organiser des élections municipales le 4 février dernier. Ces élections viennent ainsi mettre fin à une période transitoire qui, depuis 2008, s’est acheminée sur plus de 8 ans. La non organisation des élections locales et la mise en place des délégations spéciales avaient déjà créé un facteur de division entre les différentes tendances politiques. Les populations locales quant à elles, avaient perdu les notions de démocratie et de représentativité au niveau local. Ce qui avait déjà engendré une crise politique et sociale. Cependant, les opérations de vote du 4 février dernier devraient pouvoir mettre fin à cette attente interminable mais les conditions d’organisation du scrutin n’étaient pas assez réussies. D’abord, parce que les institutions en charge de l’organisation du scrutin ne font pas l’unanimité entre les différentes formations politiques mais aussi et surtout parce qu’on est allé à ces élections sans avoir résolu au préalable toutes ces questions qui ont quand même affecté toutes les élections précédentes. Mon impression est celle de tous les Guinéens. Je suis encore une fois surpris », s’exprime Ousmane Baldé, Consultant en stratégie politique et publique.
Depuis un certain temps en Guinée, on assiste à une sorte d’extrapolation du débat politique. Ce qui du coup ne donne plus une bonne conviction aux citoyens, qui pourtant sont les acteurs majeurs de cette situation. Une réalité qui n’est pas vue d’un bon œil par ce spécialiste des questions politiques. «La politique…comment en parler justement en Guinée? Nous parlons d’un bout de terre où les populations ont longuement accordé leur confiance à un groupe d’hommes durant plusieurs années sur la base d’un discours qui s’est progressivement révélé totalement absurde. Ce désenchantement a vu émerger une catégorie de spécialistes des questions politiques et sociales sans pour autant avoir les connaissances et les compétences requises pour analyser les discours et les faits politiques. Or, les politiques, conscients de cette situation, ont surfé sur ce handicap pour construire une opinion sur la base des différences culturelles et communautaires pour renforcer les soutiens et espérer une certaine légitimité. On découvre tout à coup, avec l’avènement des médias privés et internet, que le discours tenu par ceux qui étaient considérés comme des spécialistes des questions politiques les traitent comme ceux qui n’ont jamais été scolarisés et qui ont réussi, avec les médias sociaux, à s’exprimer sur les mêmes sujets avec les mêmes analyses. Cela a eu pour conséquence la naissance d’une catégorie d’activistes et de communicants non qualifiés qui se sont saisis de toutes ces questions et qui, malheureusement, ont un auditoire très élevé. Mon point de vue est celui d’un citoyen qui voit de loin tout ce mélange impertinent qui créé énormément du tort aux populations parce qu’on leur fait croire qu’elles sont dans une situation de confrontation ethnique. Et que leur survie dépend de ce rapport de force ».
Sur le cas de Kindia, sur fond de différend qui oppose Abdoulaye Bah, le pressenti maire de la commune aux chefs religieux de cette ville, Ousmane Balde ne mâche pas ses mots. Selon lui, cette situation est provoquée par les politiques qui confondent tout dans les débats. D’où la nécessité de faire toujours un débat constructif et structuré sur la scène politique guinéenne. «Mais qui sont-ils réellement ? Quels rapports ont-ils avec telle ou telle autre organisation? Autant de questions qui aideront à mieux analyser cette situation. Nous sommes dans un pays qui a inscrit dans sa Constitution le principe de la laïcité: »La Guinée est une République unitaire, indivisible, laïque, démocratique et sociale » Art 1er, Alinéa 1. Mais c’est aussi un pays où on a confondu solidarité, croyance, culture…et politique. Dans l’histoire politique de la Guinée (surtout l’histoire récente), la religion a toujours été partie intégrante de la politique. L’implication des leaders religieux dans les accords politiques et l’existence d’un secrétariat chargé des affaires religieuses illustrent mon propos. Au-delà, les leaders politiques ont toujours été sous l’influence des organisations communautaires (coordinations régionales, leaders communautaires, etc…) qui ont très souvent pesé sur le choix des responsables politiques et mêmes des membres du gouvernement. Ceci pour expliquer que l’affaire de Kindia (à laquelle vous faites certainement allusion) n’est que la conséquence patente de l’irresponsabilité avérée des intellectuels politiques. Il n’y a pas à condamner un imam ou un chef coutumier qui a une place bien précise au sein de nos sociétés et oublier ceux qui par lesquels ces dérives sont arrivées.
Pour changer cette donne en Guinée, Il faut remettre chacun à sa place. Revoir le fonctionnement des partis politiques; Dissocier politique et religion. Recadrer les missions des coordinations régionales. La population doit également exiger un débat plus responsable centré sur les véritables enjeux sociopolitiques. Les jeunes activistes et les leaders d’opinion doivent apprendre à impacter de manière responsable. La jeunesse doit se réveiller et arrêter de confondre passion et objectivité. Ce sont eux qui doivent, à présent, orienter le débat et rectifier ce que les aînés ont expressément détruit », a-t-il conclu.
Aliou Diallo