Début des années 90. Le vent de la transition démocratique souffle sur le continent africain. Plusieurs pays s’arment de nouvelles constitutions et reconnaissent, consécutivement, le pluralisme d’opinions, le respect des libertés et l’opposition politique. Des progrès certains ont été enregistrés çà et là mais des élections, parfois mal organisées ou non consensuelles accouchent de crises sur le continent et entravent ce processus de démocratisation. (Par Hamidou Bah, juriste chargé des marchés publics, consultant en géopolitique et sur des questions internationales)
« La démocratie n’est pas dans les institutions mais dans les hommes » disait Georges Burdeau.
La démocratie est une notion grecque qui désigne un régime politique dans lequel le peuple a le pouvoir. En d’autres termes on parle aussi de pouvoir du peuple pour le peuple et par le peuple. Dans sa définition « mondialisée », elle intègre de nouveaux organes mais aussi d’autres structures plus représentatives des populations. Il s’agit notamment des collectivités territoriales, des médias, des sociétés civiles, des associations etc…, on parle alors de la démocratie locale.
Si dans les pays occidentaux et asiatiques la démocratie est assez avancée, certaines régions du monde ont du mal à se l’approprier. C’est le cas notamment du continent africain qui, dans sa généralité, est encore à la traine dans bon nombre de pays. Repenser la démocratie en Afrique pour éviter les crises implique en premier lieu l’identification des facteurs qui empêchent la démocratie de prospérer et en deuxième lieu, les solutions qui, à ne pas douter, doivent être propres à chaque pays.
A LES ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS OBSTACLE AU RAYONNEMENT DE LA DÉMOCRATIE EN AFRIQUE
Il est évident qu’une chose qui est imposée et importée peut avoir des difficultés à être intégrée. La démocratie à l’africaine en est un exemple parce que l’on n’aura pas cherché à maîtriser le multilinguisme et à en faire une donnée essentielle et positive dans la vie de la nation. Ce qui aurait aidé à la consolidation de l’unité de toutes les composantes sociales, cet élément de rapprochement se transforme en cause politique des conflits. Apparaît alors l’exclusion dans toute sa nocivité et sous ses formes les plus diverses, à savoir : le tribalisme, le non renouvellement de la classe politique, l’ethnocentrisme, le régionalisme, … Véritables fléaux dans leur essence, ces concepts induisent des comportements qui minent et détruisent l’essentiel de ce qui peut être construit de durable et de convivial entre les hommes et de surcroît, la démocratie.
Le tribalisme
Au lendemain des indépendances, le constat était que l’Afrique est constituée de tribus aussi diverses que disparates. Avec les nouveaux pays issus de la décolonisation, beaucoup de tribus se sont retrouvées à cheval entre deux ou plusieurs pays, ce facteur a été un élément plus que contraignant pour impacter la démocratie en Afrique.
Le régionalisme
Le régionalisme pouvait être un facteur de consolidation de la démocratie en Afrique mais hélas, tel n’est pas le cas dans de nombreux pays. Si en occident le régionalisme constitue une des nombreuses branches de la décentralisation, et donc un élément constitutif de la démocratie locale, en Afrique par contre cela se passe avec plus ou moins de réussite. Pour ce qui est de la Guinée, le régionalisme est interprété dans le mauvais sens du terme. A titre d’exemple la mise en place des coordinations régionales qui, à mon sens n’ont même pas une assise constitutionnelle est un facteur de division car les responsables de ces coordinations se comportent comme des gouverneurs d’un Etat fédéral alors même que le pays ne l’est pas.
L’ethnocentrisme
Il s’agit d’un phénomène aussi complexe que le communautarisme du fait de son rapport avec le processus de formation d’identités collectives et individuelles. C’est à vrai dire l’attitude des membres d’un groupe ethnique selon laquelle ils considèrent que leur propre groupe est supérieur aux autres groupes raciaux ou culturels, valorisant les autres cultures à partir de la leur tout en considérant leur style de vie et leurs habitudes appropriés, meilleurs et/ou normaux et ceux de l’autre groupe étranges, inadéquats ou incorrects. L’ethnocentrisme et même l’hétérophobie (la peur de l’autre) font partie des conséquences des processus intensifs de socialisation inhérents à toute société humaine. Nous savons que tout groupe social tend à la cohésion interne moyennant la création d’un sentiment de fierté qui fortifie le groupe face aux autres et, ce faisant, réaffirme sa propre excellence.
Ajouter à cela l’intolérance de certains politiciens qui, pour accéder au pouvoir, n’hésitent pas à produire des conflits en opposant des régions ou les groupes ethniques d’un même pays les uns aux autres. On tombe carrément dans le déni de la démocratie.
Ainsi, nés d’une mauvaise gestion des différences linguistiques et culturelles, ces comportements se transforment en causes politiques des crises lorsqu’intervient leur manipulation voulue et entretenue à des fins politiques, c’est-à-dire lorsqu’ils sont érigés en moyens de gestion et de domination politiques. C’est le cas notamment en Guinée où on dénombre trois dialectes principales mais qui coexistent avec une cinquantaine d’autres plus ou moins marginales. Mais il est pourtant certain qu’ils auraient pu ne pas exister si l’on avait su maintenir dans leur harmonie originelle les différents groupes sociaux appelés à vivre comme le cas du Sénégal et d’autres pays d’Afrique centrale et australe où le lingala et le swahili sont parlés dans presque toute cette partie du continent ..
L’Afrique demeure à cet égard bien en-deçà de ce que l’on serait en droit d’en attendre. Certains exemples cités plus haut donnent la pleine mesure du drame qui se joue car il s’agit effectivement d’un véritable drame. Ainsi, le tribalisme, le régionalisme et les autres fléaux qui ont été identifiés ici et dont la conséquence fatale reste l’exclusion, représentent avec les questions liées au multilinguisme, une des causes objectives des crises électorales en Afrique.
Ces éléments identifiés ici sont bien entendu loin de constituer les seuls obstacles à la consolidation de la démocratie en Afrique. Néanmoins au vu de l’évolution des sociétés et du développement des canaux de communication, il est loisible de repenser la démocratie en Afrique afin que les périodes électorales ne soient pas toujours accompagnées de crises et de violences.