Docteur Amadou Kala Diallo est économiste de formation, spécialiste en économie industrielle et environnement et chef de département Sciences Comptables à l’Université Général Lansana Conté de Sonfonia. Dans cette interview, il donne sa position par rapport au contrat que la Guinée vient de signer avec la Chine, nous dit ce que la Guinée doit faire pour que son partenaire respecte la protection de l’environnement et explique les stratégies pour rehausser le niveau de l’économie guinéenne.
Ledeclic.info : Bonjour Docteur. Comment réagissez-vous à ce contrat entre la Chine et la Guinée ?
Dr Amadou Kala : à mon avis, le contrat est bon pour le pays mais à condition que la Guinée puisse lire entre les lignes et opérer des choix stratégiques. Lorsqu’on négocie dans ce secteur, il faut bien réfléchir, avoir la vraie information pour prendre des décisions. Pourquoi ? Parce que c’est un secteur à haute intensité de capitaux, un secteur qui nécessite de gros investissements. Si bien que lorsqu’on se lance dedans, la seule possibilité de récupérer ce qu’on y a mis, c’est de continuer parce que quand se retire, on perd tout. C’est-à-dire que lorsqu’on va lancer exploitation d’une mine et qu’en cours de chemin, on se rend compte que ce n’est pas bon, on dit d’arrêter comme ce fut le cas de Rio Tinto. Et quel que soit ce que l’on va faire, on va perdre énormément d’investissements déjà réalisés parce que ce type d’investissement est appelé investissements irrécupérables. Alors, si les autorités négocient et que la mise en œuvre est suivie par des personnes compétentes, à mon avis, ce sera bon pour la Guinée. Mais il y a un problème. Chez nous, les ressources humaines sont mues par le gain personnel. Or tant que l’intérêt général n’est pas garanti, l’intérêt personnel ne sert à rien. Parce que quand moi je suis milliardaire et que dans ma famille, il y a des personnes qui cherchent mille francs pour déjeuner, elles vont faire la queue devant ma porte.
Qu’est-ce qui fait, selon vous , la particularité de ce contrat qui porte sur 20 milliards de dollars?
En Français facile, selon les informations reçues, ce contrat est basé sur le système de troc. C’est-à-dire on sait que la Guinée n’a pas d’argent, le pays s’engage à ouvrir les matières premières dont la chine a besoin mais dans le secteur minier guinéen en échange d’un montant. Donc c’est à la Guinée de repartir dans les différents secteurs ce qu’elle va recevoir de la Chine.
Mais 20 années d’exploitation, est-ce que ce n’est pas trop ?
C’est vrai ! Ça parait long. Mais pour un individu. Une nation qui est appelée à vivre mille ans et plus, 20 ans ne sont pas longs. Donc si nous pensons pays, ce n’est pas long. Mais si nous pensons personne, ça peut paraître long. C’est d’ailleurs l’erreur que la première République a commise. Selon les informations que j’ai reçues, les Américains voulaient bitumer toutes les routes de la Guinée, électrifier tout le pays et garantir l’eau potable pour tous contre ces ressources-là sur plusieurs années. Pour preuve, ils avaient installé leur quartier général à la Minière ; d’où le nom de ce quartier de Conakry. En plus, les autorités de la première République étaient trop altruistes c’est-à-dire ils ont voulu trop protéger les ressources au moment où les prix étaient au beau fixe. Et maintenant, les prix ont baissé. Si ces ressources étaient exploitées en ce moment, on n’en serait pas là. Vous savez, la connaissance scientifique n’a pas de limites. Lorsque nous gardons ces ressources-là, parce que nous en sommes fiers, c’est vrai, c’est DIEU qui nous a donné, mais ça trouve que l’Occident est en train de chercher des produit de substitut. Avant, il y avait des appareils qui étaient en aluminium, mais aujourd’hui beaucoup sont en caoutchouc. Ils ont trouvé des substituts. Avant des avions, des bateaux étaient conçus à base d’aluminium, mais de nos jours même des trains ont des caoutchoucs. Donc si on n’exploite pas rapidement, j’ai peur qu’à la longue, comme l’a dit un penseur africain, on ne soit assis sur la richesse et mourir de faim parce qu’on n’a pas la capacité de l’exploiter ou de l’écouler. Les ressources naturelles ne constituent une richesse que lorsqu’elles sont valorisées.
Plusieurs domaines sont cités par les autorités pour l’utilisation de ces 20 milliards de dollars. Selon vous, quels sont les secteurs que les autorités doivent mettre en priorité pour satisfaire le peuple et comment elles doivent s’y prendre ?
Tous les secteurs sont utiles, mais les autorités doivent plus miser sur l’agriculture. Car aucun pays du monde n’a pu se développer sans l’agriculture. Pourquoi? Parce que la plus grande moitié de la population du pays tire ses substances de ce secteur. D’ailleurs, en Guinée, les citoyens se disent que c’est la même chose depuis 1958. Nos richesses vont ailleurs, pas de fumée ni de lumière. Maintenant, pour que ça change, comme 60% de la population travaillent dans le secteur agricole, c’est de mettre l’accent là-bas. Cela en changeant le système actuel, former les paysans, leur fournir des engrais adaptés à notre sol, des semences, des équipements ou des ressources financières. Mais surtout, il faut retenir que ce ne sont pas les gros projets qui peuvent développer l’agriculture en Afrique. C’est plutôt le développement de l’agriculture familiale qui sortira le pays de la pauvreté. Parce que c’est ce qui est adapté à nos coutumes et nos habitudes. Lorsqu’on va développer ce secteur, il y a une bonne partie de la main d’œuvre qui sera libérée. Il se trouvera maintenant qu’un seul paysan peut nourrir cent personnes. Les rendements augmentant, tout le monde n’est pas obligé de travailler parce qu’il y a la rentabilité. Et ceux qui vont quitter le secteur agricole vont venir maintenant dans le secteur industriel et c’est ce secteur industriel-là qui va créer de nouvelles richesses. Mais le plus important est de prendre simultanément l’agriculture et l’industrie ; de façon à ce que lorsque la production agricole augmente, les industries viennent pour transformer.
Mais exploiter une ressource sans la transformer sur place n’est tout de même pas bénéfique pour le pays ?
Non ! Le secteur minier n’emploie pas beaucoup. Pourquoi ? Parce que les matières ne sont pas transformées chez nous. Mais aussi c’est une ressource épuisable. Par exemple, lorsque vous exploitez une tonne de bauxite, ça quitte la Guinée, ça ne revient plus. C’est la situation dans laquelle certains pays sont confrontés aujourd’hui. Ils ont exploité plus de 60% de leurs réserves. Et lorsque ces richesses sont épuisées, ils vivront de quoi ? Si la Guinée a un accord long comme ça, on signe des contrats fermes. C’est-à-dire lorsque le contrat est signé, il n’y a pas de révision de prix. Le prix est fluctuable c’est vrai, mais la Guinée a un avantage parce que la Chine est coincée. Pourquoi elle est coincée. Parce que la principale source d’approvisionnement de la Chine en matière première est bloquée par un pays dont je garde le nom qui s’était rendu compte que la Chine les a dribblés. Mais ce qui a fait le déclic, ils se sont rendu compte que la Chine ne respecte pas la protection de l’environnement et ils n’ont pas respecté les cahiers de charge. Donc ils sont bloqués là-bas. Or ils ont des usines qui consomment des tonnes et des tonnes de bauxite et d’aluminium pour des pièces de rechange. Donc si la Guinée réussit dans sa négociation à tenir compte de ce facteur, c’est une aubaine pour le pays.
Vous aviez dit que la Chine est un pays qui ne respecte pas les principes liés à la protection de l’environnement. Alors quelles sont les dispositions que la Guinée doit prendre pour faire face à cette situation ?
Le pays doit mettre des garde-fous dans le contrat. Dire attention, vous allez exploiter, mais vous allez reboiser, vous allez faire ceci, vous allez protéger. Ecrire tout, mais surtout faire accompagner ces écrits par les institutions autonomes qui vont suivre de façon à ce que dès qu’il y a déviation, on les rappelle à l’ordre et on les recadre. Parce que là où la Chine a eu des soucis, c’était ça la cause. Certes, on ne peut pas faire des omelettes sans casser des œufs, mais regarder aujourd’hui, du fait que le développement de l’Europe, l’Amérique dépend de ça, c’est ce qui amène le changement climatique. Et nous, on ne veut pas de ce type de développement. Il y a un degré de nuisance que la nature peut gérer. Pour preuve, dans nos villages, avec l’agriculture traditionnelle, on cultive ici deux ans, trois ans, on abandonne la partie, on va ailleurs. Naturellement, la nature se régénère et se remet à sa place. Donc il faut qu’on fasse de sorte que la nuisance soit proportionnelle à la capacité de la nature de se régénérer. C’est la meilleure stratégie.
Quel pourrait être l’impact de l’exploitation de ces mines sur les autres secteurs de développement ?
Le premier secteur qui peut être affecté, c’est le secteur agricole. Parce que les ressources minières sont sur la terre et l’agriculture c’est sur la terre aussi. Peut-être ça ne sera pas dans les zones cultivables, mais lorsqu’il y a nuisance à côté d’une zone agricole, ça affecte. Lorsqu’une rivière qui traverse une plaine agricole est affectée par une exploitation minière, ça réagit et ça rejaillit sur l’agriculture. Ensuite, c’est le risque de mettre trop l’accent sur le secteur minier et négliger les autres secteurs. Enfin, le réchauffement climatique.
De façon globale, que faut-il aujourd’hui à la Guinée pour rehausser son niveau économique ?
Pour améliorer le niveau économique du pays, l’Etat doit garantir ses quatre (4) fonctions régaliennes : la défense, la sécurité, la justice et la diplomatie. Elles constituent la base. En plus, l’assainissement et l’eau potable parce que quand il n’y a pas de propreté, il n’y a pas de santé. Parce que quelqu’un qui n’est pas en bonne santé ne peut pas produire. L’électricité également. De nos jours, le plus petit enfant du pays ne peut pas dormir si son téléphone n’est pas rechargé. Il y a aussi l’éducation, on ne peut se développer dans l’ignorance. Parce que nous avons des comportements anti développement. Enfin, il faut qu’il ait de ressources humaines capables de mettre en œuvre les programmes et les projets de développement. Pour résumer, il faut que l’Etat mette en place les infrastructures socio-économiques de base. Lorsque cela est garanti, chaque citoyen se sentira mieux. Mais sans cela, c’est la pauvreté. Et la pauvreté est le berceau de la haine.
Propos recueillis par Gassime Fofana