Abdoulaye Diallo, Calcaj : «la société civile guinéenne est confrontée à un problème de leadership»

Il est l’un des acteurs les plus en vue de la Société civile guinéenne. Abdoulaye Diallo,  »Calcaj », partage ses expériences dans son pays mais participe également à l’essor de la société civile sur le continent africain. C’est entre deux voyages d’ailleurs qu’il nous a reçus pour parler de la Société civile de façon générale et évoquer les problèmes qui handicapent l’évolution des nombreuses plateformes en République de Guinée. 

 

Bonjour Monsieur Abdoulaye DIALLO !!!

Bonjour !!!

 D’où vient la notion de société civile ?

En réalité, c’est un terme générique qui remonte à l’Antiquité. C’était parti du constat qu’à l’époque, le roi et sa cour avaient une main mise sur toutes les affaires.  Il y avait aussi une société politisée et une autre société économique que composent les commerçants. Mais la remarque a été faite que ces deux groupes exploitaient les personnes. Alors il fallait mettre en place un troisième groupe qui puisse contrôler leurs actions. Surtout qu’à l’époque le roi avait le droit de vie et de mort sur les personnes et abusait de son autorité. Et de l’autre côté, les commerçants augmentaient et baissaient les prix comme ils le voulaient. C’est ainsi qu’un certain nombre de personnes dont Socrate ont décidé de mettre en place une force parallèle pour le contrôle de toutes ces actions. Si les commerçants augmentent les prix, ce groupe se constitue pour boycotter les produits.  Parlant du cas de l’Afrique, depuis après la lutte des indépendances, on avait remarqué que les dirigeants n’étaient pas suffisamment armés pour bien diriger. Quand on donnait les aides à l’Etat, malheureusement, les gouvernants, les directeurs généraux, les secrétaires généraux, chacun ponctionnait dans ces aides qui étaient destinées à réaliser les actions de développement du pays. Donc les populations se sont dit : et si encourageait la création de la société civile ? De la même façon qu’on a eu l’idée de créer une société civile dans l’Antiquité, on peut faire la même chose pour bien gérer les actions de développement pour faire progresser nos pays.  Donc au lieu de donner les fonds à l’Etat, on peut donner directement à la société civile. Voilà comment la société civile a été créée en Afrique.

Quel regard portez-vous aujourd’hui en particulier sur  la société civile guinéenne, pendant qu’elle semble régresser en termes d’intensité sur les actions de contrôle ?

La société civile guinéenne est victime de ce qu’on appelle sa maturité. Il y a quand même et des moments où la société civile guinéenne a brillé. Elle était le chouchou de la population guinéenne. Elle a même dépassé les frontières, parce que moi quand je me présente dans les conférences à l’extérieur comme étant de la société civile guinéenne, c’est tout un engouement autour de moi. Vous vous rappelez en 2006-2007, la synergie d’actions que nous avons menée. Le printemps arabe, le mouvement au Burkina, ont tiré leur inspiration du cas guinéen. Voilà des témoignages qu’on entend à chaque rencontre avec les collègues des autres pays.

Mais que s’est-il passé par la suite ?

Il y a ce qu’on appelle le système des organisations, c’est-à-dire que toute organisation peut monter jusqu’à atteindre son apogée. Soit elle maintient le cap, soit elle dégringole.  Alors cette société civile guinéenne a atteint son sommet mais n’a pas pu rester. Tout à commencé au moment de la transition lorsqu’on s’est battus jusqu’à obtenir un premier ministre de consensus, et on nous a invités à être dans le gouvernement. Donc au sein de la société civile, nous nous sommes dit attention, il ne faut pas rentrer dans le gouvernement, par ce que nous, nous pouvons aider les force vives à mener le combat mais lorsqu’il faut diriger nous devons laisser cela aux politiques.  Malheureusement, ce n’est pas ce qu’on fait en Guinée. Y a d’autres qui disent si l’on veut changer la maison, nous devons rester à l’intérieur ; on ne peut pas changer une maison en restant à l’extérieur. Cela a été une discussion, il y a eu d’un coté ceux qui  disent il faut être dedans pour mieux contrôler et un autre camp qui dit non il ne faut pas être dedans. Finalement le camp du oui a dominé. On a dit ok il faut aller, mais il ne faut pas aller pour un intérêt personnel, il faut agir en mettant des bases solides pour un bon développement. Mais quand ils sont partis,  quand on les interpelle, ils disent ah c’est parce qu’on ne connaissait pas, c’est par ce que vous n’êtes ici, ce n’est pas ce qu’on croyait. Donc finalement la société civile a dégringolé.

Est-ce à dire qu’elle ne parvient plus à jouer aujourd’hui  son rôle d’alertes et de propositions concrètes aux gouvernants ?

Il y a eu quelque chose qui s’est passé en 2011.  La Guinée avait la particularité d’avoir une seule plateforme de la société civile qu’on appelle le Conseil national des organisations de la société civile. Et c’est quelque chose de très important. Quand j’ai expliqué pour la première fois au Cap-Vert qu’en Guinée, on a qu’une seule plateforme de la société civile, les gens étaient émerveillés. Toutes les autres thématiques sont dedans et c’est bien réfléchi. Ils ont dit, c’est vraiment bien. Donc avoir une seule plateforme de la société civile a des avantages et des inconvénients : l’avantage, c’est si elle est composée de personnes intègres, il n’y a pas de dissidence. Mais si l’on parvient à infiltrer des personnes venant soit de l’opposition soit du pouvoir en place, c’est très dangereux. Elle ne fera que se soumettre et il n’y a pas une autre alternative. Donc l’avantage d’avoir plusieurs sociétés civiles,  c’est que si un groupe se rallie au pouvoir ou un autre à l’opposition, on aura forcément un autre qui va se démarquer de tout ça pour mener le combat.

Qu’est-ce que vous avez fait pour mettre fin à cette situation ?

A un moment donné, notre société civile avait un penchant pour le pouvoir. C’est ainsi que dans l’idée de diversifier les plateformes on a créé la Conasoc, et plus tard, la PCUD a été créée et d’autres ont suivi. Quand les uns et les autres ont donc compris qu’il y a une possibilité de créer d’autres organisations de la société civile, alors les gens se sont mis à la tâche. Et c’est d’ailleurs souhaitable, parce qu’il y a tellement de thématiques, si c’est une seule organisation qui s’occupe de tout, ça devient compliqué. Ce qui d’ailleurs va permettre à chacun de se retrouver dans une plateforme qui lui convient.  Mais nous sommes allés plus loin. Actuellement nous sommes en train de mettre une synergie d’actions en place pour fédérer toutes les plateformes de la société civile. L’idée est partie de faire les états généraux de la société civile pour savoir ce qui a marché et ce qui n’a pas été fait. Mais à côté de tout cela,  nous avons mis en place un réseau pour voir s’il y a des crises dans le pays comment faire pour les résoudre.

Pour bon nombre d’observateurs, la société civile est devenue un moyen pour beaucoup de personnes de se hisser au sommet des instances de prises de décisions. Certains préfets sont issus de vos rangs et même à la CENI c’est un des vôtres qui était jusqu’ici aux affaires. Que répondez-vous ?

 Non pas du tout, normalement d’ailleurs la CENI c’est un acteur de la société civile qui doit la diriger. Depuis la création de l’institution, on a dit 10 places pour la mouvance, 10 pour l’opposition, 3 pour la société civile et 2 pour l’administration publique. Nous avons réfléchi, ça été un débat. On a dit donc on envoie un de l’ordre de avocats, un du syndicat  et un de la société civile. Et comme il y’avait 10 de la mouvance et 10 de l’opposition, donc ils ont dit de donner la présidence à la société civile. Et depuis lors si vous remarquez c’est toujours un acteur de la société civile qui préside la CENI.

Alors dites-nous quels sont les problèmes auxquels la société civile guinéenne est confrontée ?

La société civile guinéenne est confrontée à un problème de leadership. Ça il faut de le dire. Du fait  qu’il y a plusieurs plateformes de la société civile, ça aurait été une force ; ça pouvait créer de l’émulation. Si l’une peut dire l’autre est entrain de progresser, il faut que j’innove pour aller aussi, ce serait salutaire. Mais ce n’est pas le cas en Guinée. Chacun est entrain de penser à mettre les bâtons dans les roues de l’autre. Néanmoins, je crois que c’est tout à fait normal, et je suis convaincu que dans un proche avenir on va finir avec ça et progresser.

Merci Monsieur Diallo !

Je vous remercie aussi !

Entretien réalisé par Aliou Sanaya Diallo

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